De Harper à Trudeau, le contraste est saisissant en matière d'accueil des réfugiés. D'un gouvernement qui utilisait la sécurité comme prétexte pour ne pas agir, nous voilà devant un gouvernement déterminé à relever tout un défi: accueillir 25 000 réfugiés au Canada d'ici le 31 décembre.

Un scénario à l'étude prévoit l'accueil de 6000 réfugiés syriens par semaine qui seraient hébergés dans des bases militaires comme celles de Valcartier ou de Trenton, selon des informations obtenues par Le Devoir. Une opération d'urgence d'envergure qui s'inspire du plan déployé en 1999 lors de l'arrivée des réfugiés kosovars au Canada.

Est-ce réaliste d'accueillir autant de réfugiés en si peu de temps? «Ça dépend du niveau d'urgence qu'on attribue à la chose», me dit Janet Dench, du Conseil canadien pour les réfugiés. Si la volonté politique est là, si l'organisation suit et que les citoyens se montrent solidaires, il est clair que l'on peut accueillir beaucoup plus de gens que le gouvernement précédent ne voulait nous le faire croire. Ce qui compte, ce n'est pas d'atteindre le chiffre magique de 25 000 réfugiés le 31 décembre à minuit. Ce qui compte, c'est d'admettre qu'il y a urgence, de reconnaître que nous avons des responsabilités en matière de protection des réfugiés et d'agir en conséquence.

A priori, 25 000 réfugiés, ça peut paraître beaucoup. En temps normal, le Canada reçoit 5700 réfugiés par année, pris en charge par l'État. Mais tout est relatif. Quand on sait que l'Allemagne recevra 800 000 demandeurs d'asile cette année, 25 000, ça semble très peu. Quand on sait aussi que des pays voisins de la Syrie, aux capacités beaucoup plus limitées que les nôtres, accueillent en ce moment la majorité des réfugiés syriens, on se dit que le Canada peut certainement faire mieux. Rappelons qu'en ce moment, 95% des Syriens fuyant la guerre civile sont recueillis par les pays limitrophes (Liban, Jordanie, Irak, Égypte et Turquie).

Accueillir un grand nombre de réfugiés pose-t-il des problèmes de sécurité? C'est ce que prétendait le gouvernement Harper. Mais il faut encore rappeler qu'il est beaucoup plus difficile d'entrer au Canada comme réfugié que comme simple visiteur. Les demandeurs d'asile doivent obligatoirement se soumettre à des contrôles de sécurité très poussés de la GRC et du SCRS que les milliers de visiteurs qui débarquent au pays chaque jour n'ont pas à subir.

Si on veut vraiment parler de sécurité et de réfugiés, il faudrait renverser la question. Car le plus dangereux, ce n'est pas de les accueillir. Le plus dangereux, c'est de ne pas le faire. Pour s'en convaincre, il suffit de s'attarder au drame de tous ces hommes, ces femmes et ces enfants noyés pour avoir voulu trouver refuge. Après le naufrage d'Aylan, dont la photo a ému le monde, la crise syrienne ne s'est pas arrêtée. C'est juste que nous avons cessé de nous émouvoir. Pourtant, l'urgence est toujours la même. Et l'indifférence tue tout autant. «Chaque jour, deux Aylan», titrait jeudi Libération, en rappelant que depuis deux mois, au moins 108 autres enfants ont perdu la vie en mer Égée sans que cela fasse la une.

Dans ce contexte, l'engagement d'Ottawa est le bienvenu. Le gouvernement conservateur avait promis de réinstaller 10 000 réfugiés syriens d'ici septembre 2016. Le gouvernement libéral promet d'en accueillir au moins deux fois plus en un temps record. Au-delà de cet important changement de cadence, ce qui est intéressant, c'est le changement de discours. Le gouvernement Harper comptait sur le parrainage privé pour se délester de ses responsabilités en matière d'accueil des réfugiés. En s'engageant à ce que les 25 000 réfugiés syriens attendus au pays d'ici la fin de l'année soient pris en charge par l'État, le gouvernement Trudeau rompt avec cette façon de faire. «C'est un retour à un principe fondamental», souligne Janet Dench. Même le nom du ministère de l'Immigration reflète ce changement de cap. On parle désormais du ministère de l'Immigration et des Réfugiés.

Ce retour à un principe fondamental ne veut pas dire qu'il faille laisser tomber les projets de parrainage privé qui permettent à des citoyens de se regrouper pour venir en aide à des familles syriennes ou toute autre initiative du même genre. Cela signifie seulement que ces initiatives citoyennes s'ajoutent désormais aux efforts de l'État au lieu de s'y substituer.

Maintenant, pour que les citoyens qui le désirent puissent encore mieux contribuer à l'opération d'accueil de l'État, il faudrait mieux les soutenir. Quand on parle d'accueil des réfugiés, bien des gens ont en mémoire des expériences très riches de jumelage avec des familles venues d'ailleurs. Que ce soit avec les boat people vietnamiens ou les réfugiés kosovars, les programmes de jumelage ont fait leurs preuves. Mais, allez savoir pourquoi, ils ont été abolis par Ottawa et Québec en 2005. Il s'agissait pourtant des seuls programmes d'accueil et d'intégration impliquant directement et activement la société d'accueil. Ils permettaient, de la façon la plus humaine qui soit, de faire tomber les barrières liées à la langue, à l'isolement, à la culture ou à la méconnaissance mutuelle. De rendre l'hiver plus doux. Autant pour celui qui fuit l'horreur que pour celui qui ne l'a jamais connue.

À l'heure où on attend 25 000 réfugiés, ce serait particulièrement utile, non?