Comme bien des gens, j'ai été bouleversée par les témoignages de femmes autochtones de Val-d'Or présentés dans l'excellent reportage d'Enquête, la semaine dernière. J'ai été choquée par les allégations d'abus et d'agressions sexuelles. J'ai aussi été choquée de voir que les autorités, au courant de certaines allégations depuis le mois de mai, aient attendu que le scandale soit médiatisé pour se réveiller.

Fallait-il vraiment cinq mois pour établir que les allégations étaient suffisamment graves pour que les policiers visés soient suspendus le temps de l'enquête ? Fallait-il cinq mois pour réaliser qu'il était mal avisé de confier à la Sûreté du Québec une enquête sur la Sûreté du Québec ?

Tout ça m'a choquée. Toutefois, contrairement à bien des gens, je n'ai pas été choquée par les larmes de la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault. Des larmes de crocodile, ont dit certains. Une preuve de faiblesse ou d'incompétence, ont crié d'autres. Comme si seuls étaient compétents les ministres insensibles et inhumains que rien n'ébranle jamais.

Contrairement à bien des gens, j'ai trouvé que ces larmes avaient quelque chose de rassurant. De toute évidence, la ministre a été bouleversée par le reportage de Radio-Canada. Loin de voir dans cette réaction une mise en scène cynique, j'y vois plutôt une occasion de faire bouger les choses. On peut s'attendre à ce qu'une ministre touchée droit au coeur par un scandale ait aussi à coeur que justice soit faite.

La ministre ne savait-elle pas depuis le mois de mai ce que contenait le reportage ? Vérification faite, non. Elle avait été mise au courant de certaines allégations au mois de mai, à la suite du passage de l'équipe de l'émission Enquête à Val-d'Or. Mais elle ne savait rien des témoignages les plus durs du reportage. Elle ne savait pas pour Bianca, la jeune femme de 26 ans qui raconte que lorsque des policiers « l'embarquaient », ils ne l'emmenaient pas au poste, mais dans un chemin dans le bois. « Ils me demandaient de leur faire une fellation [...] Ils me payaient 200 $ ; 100 $ pour le service, 100 $ pour que je ferme ma gueule. »

Elle ne savait pas non plus pour Angela, qui raconte, la voix brisée par la douleur, l'agression qu'elle aurait subie à 19 ans. « Il m'a montré une salle d'interrogatoire. Il m'a dit de m'asseoir sur la table. Il a descendu son pantalon. »

Ces témoignages bouleversants, la ministre Thériault les a entendus en même temps que tout le monde, jeudi dernier. Aurait-elle pu tout de même faire mieux dans ce dossier dès qu'il a été porté à son attention il y a cinq mois ? Très certainement. De là à la rendre seule responsable des décennies de colonialisme et de racisme qui teintent notre rapport avec les autochtones dans ce pays, il y a un pas.

« C'est trop facile d'aller blâmer la ministre. On n'est pas juste en retard de cinq mois. Ça fait 150 ans qu'on est en retard », me dit Michèle Audette, ex-présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada, qui a fait de cette cause son combat.

Ce n'est pas comme si on avait découvert jeudi soir dernier en regardant la télé que les femmes autochtones étaient maltraitées dans ce pays. La vérité, c'est qu'elles sont méprisées et maltraitées depuis des décennies et que collectivement, on s'en balance.

Elles sont tellement maltraitées qu'elles en viennent elles-mêmes à croire qu'il est normal que ce soit ainsi, soulignait Melissa Mollen-Dupuis, cofondatrice d'Idle No More à l'émission Tout le monde en parle.

Avant que la ministre Thériault ne verse une larme, il y a eu des décennies de vies volées, de larmes ignorées et d'histoires étouffées. Des décennies d'impunité et d'indifférence. Et pourtant, on savait. Depuis 15 ans, les rapports au sujet de la discrimination et de la violence contre les femmes autochtones se multiplient. Amnistie internationale, Femmes autochtones du Québec, Association des femmes autochtones du Canada, Human Rights Watch... Tous ces groupes et plusieurs autres encore ont documenté une situation tragique sur laquelle on ferme les yeux depuis trop longtemps.

En 2012, le rapport du commissaire Wally Oppal, à la suite de l'affaire Pickton en Colombie-Britannique, avait déjà un air de déjà-vu pour de nombreux groupes de femmes autochtones. Robert Pickton, faut-il le rappeler, est ce tueur en série devenu un symbole de la violence contre les femmes autochtones. L'enquête Opal avait conclu que les préjugés et l'indifférence à l'égard des femmes autochtones avaient empêché que le meurtrier, qui a avoué avoir tué 49 femmes, soit arrêté plus tôt.

Au moment de la publication de ce rapport, il y a trois ans, Michèle Audette avait rappelé que la discrimination systémique que dénonce Wally Oppal n'était pas propre à la Colombie-Britannique. On savait très bien que ça existait ailleurs au pays. On se doutait très bien que ça existait au Québec aussi, même si les femmes autochtones, emmurées dans une culture du silence, n'osaient pas porter plainte.

On savait. Pourtant, au-delà des cercles autochtones et des militants des droits de la personne, on n'a pas vu de grands mouvements collectifs au Québec s'organiser pour les femmes autochtones opprimées. Elles n'ont pas eu le droit à une manifestation de Janettes. C'est comme si elles n'existaient pas.

Pour que l'on s'intéresse à elles, il aurait peut-être fallu qu'elles se voilent. Elles ont fait mieux encore en se dévoilant.

Au lieu de chercher des boucs émissaires et d'en faire un enjeu partisan, saluons leur courage. Et assurons-nous d'une réponse collective qui soit à la hauteur de ce courage.