Maryse habite l'est de Montréal. Francine habite l'ouest. Leurs chemins se sont croisés par l'entremise de leur ennemi commun: le myélome multiple, un cancer du sang méconnu, mortel et incurable.

Maryse Bouchard a rencontré l'ennemi en 2008, à l'âge de 49 ans. C'était au hasard d'un bilan sanguin de routine, grâce à la vigilance de son médecin de famille. Maryse se sentait fatiguée. Le diagnostic est tombé comme tombent les bombes: myélome multiple, un cancer systémique qui peut affecter tout le corps. «On me donnait deux ou trois ans à vivre», raconte-t-elle.

Francine Ducas a été frappée par la même bombe en 2007, à l'âge de 43 ans. Elle qui s'entraînait tous les jours a commencé à ressentir une grande fatigue. À l'époque, elle dansait le baladi. Elle s'est mise à avoir des douleurs un peu partout le long du corps. Elle pensait que c'était à cause du baladi. Mais non... «L'oncologue m'a dit: «Il vous reste trois à cinq ans à vivre.» Il a ajouté un "mais" auquel s'est accrochée Francine. «Mais il y a des nouvelles molécules qui s'en viennent...» Des molécules d'espoir.

Pour Maryse et Francine, c'était le début d'un dur combat. Le début d'une belle amitié, aussi. Elles se sont rencontrées en 2009, à l'occasion de la première Marche Myélome Multiple, une marche le long du canal de Lachine que Maryse a organisée avec l'aide de son amoureux et d'une amie d'enfance. Elle se sentait privilégiée d'être encore en vie après avoir subi une greffe de cellules souches rendue possible grâce à son frère.

Le but premier de la marche était de créer un réseau de soutien pour ceux qui se sentent seuls au monde avec la maladie. Célibataire, Francine se sentait elle-même bien seule quand le diagnostic est tombé. Heureusement qu'elle avait ses deux chats, dit-elle. Elle n'a pu s'en séparer, malgré les recommandations des médecins. «Mes chats ont été mes proches aidants!»

Les deux amies marchent main dans la main depuis ce jour. Deux battantes soudées pour la vie. «Maryse est une personne intègre, qui a un grand coeur. Et elle a cette énergie qui est très contagieuse», me dit Francine. Maryse a autant de bons mots pour son amie. «Francine, c'est une grande femme qui travaille dans l'ombre.»

Ensemble, les deux amies ont mis sur pied le Défi Cyclo-myélome, afin d'amasser des fonds pour la recherche sur le myélome. Des fonds pour l'espoir...

De l'espoir, il y en a, car depuis 15 ans, le pronostic des patients atteints d'un myélome s'est nettement amélioré. «Les survies médianes sont de l'ordre de cinq à sept ans avec une amélioration de la qualité de vie», observe le Dr Richard LeBlanc, cancérologue et directeur de la Chaire de recherche Myélome Canada. Cette amélioration ne s'est pas faite par hasard, précise-t-il. «C'est le résultat des efforts qui ont été faits en recherche, en développement, en innovation en myélome multiple.»

Beaucoup de travail reste à faire pour que le myélome soit considéré un jour comme une maladie chronique plutôt que comme une maladie incurable. Et malgré les percées scientifiques, on est encore très loin d'un espoir de guérison.

«Et si on marchait de Montréal jusqu'à Québec? Peut-être qu'on pourrait toucher plus de gens?», s'est dit Maryse en 2012. Sa proposition a suscité des moues sceptiques. «Mme Bouchard, vous êtes sérieuse?», a demandé son médecin.

Malgré la douleur, malgré la fatigue, malgré les effets secondaires de ses médicaments, elle était très sérieuse. Elle en a parlé à Francine, qui avait été chargée par l'oncologue de la convaincre de faire autre chose. C'est ainsi que la longue marche est devenue, en mai 2013, un «simple» défi cycliste de 280 km à vélo.

«C'était extraordinaire!», dit Francine, le regard brillant. Il pleuvait. Il faisait froid. Qu'importe. «On riait. On chantait. C'est incroyable comment l'énergie d'un groupe peut nous porter.»

Maryse se revoit, à bout de souffle, montant la cote de Donnacona sous les cris d'encouragements du groupe. «Vas-y, Maryse! Tu vas l'avoir! Un coup de pédale à la fois!» Épuisée, mais heureuse, elle y est arrivée.

Maryse n'était pas au bout de ses peines. Quelques mois plus tard, elle a eu un deuxième diagnostic de cancer. Cette fois, c'était l'oesophage. Il lui fallait une intervention chirurgicale majeure. Ablation de l'oesophage. Un mois d'hospitalisation... Maryse était atterrée. «Pourquoi un deuxième cancer? Pourquoi moi? Est-ce que je vais m'en sortir?»

Francine ne l'a pas eue facile non plus. Après des traitements de chimio, une autogreffe de cellules souches et des médicaments qui ont de lourds effets secondaires, son bilan sanguin est stable. Mais elle sait qu'une récidive la guette. «Il faut s'habituer à vivre avec cette horloge. Ce tic-tac derrière l'oreille», dit-elle. Elle souffre de stress post-traumatique. Depuis qu'elle est suivie par un psychologue, elle se sent mieux.

«L'année 2014 a été éprouvante pour nous deux», dit Maryse. Mais pas question d'abandonner pour autant. Les deux amies ont repris l'entraînement pour le prochain défi cycliste. Chacune y va à son rythme. Après des mois de convalescence, Maryse a commencé par 10 minutes de vélo stationnaire. Elle arrive maintenant à en faire 25. L'objectif est d'atteindre 90 km en mai. «Ce ne sera pas facile, mais je crois être capable!»

En plus d'amasser des fonds, Maryse et Francine se battent pour que les patients atteints d'un myélome aient accès au pomalidomide (Pomalyst), un traitement qui n'est pas remboursé par Québec, alors qu'il l'est par l'Ontario. Elles ont écrit au ministre de la Santé pour dénoncer cette injustice.

Comment expliquer que des traitements pour le cancer soient écartés pour des raisons budgétaires au Québec alors que l'Ontario arrive à les financer? «Selon l'évaluation de l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS), le Pomalyst présente un rapport coût-efficacité défavorable», me répond l'attachée de presse du ministre Gaétan Barrette. «Le fabricant du Pomalyst a toujours la possibilité de proposer à l'INESSS une réduction transparente du prix de son produit pour en améliorer le rapport coût-efficacité», ajoute-t-on, en précisant que le projet de loi 28 donnerait au ministre des outils pour négocier de meilleurs prix.

Maryse et Francine ont l'impression que les patients font les frais d'un jeu politique entre les sociétés pharmaceutiques et le gouvernement. «Est-ce que la vie de certaines personnes vaut mieux que d'autres aux yeux de nos élus?», demandent-elles. Refuser de rembourser ce traitement, c'est refuser de donner l'espoir.

Or, l'espoir, c'est ce qui les tient. «J'ai hâte au jour où on va m'apprendre qu'un remède a été trouvé», me dit Francine.

Elles sont reparties chacune de leur côté, après s'être serrées dans les bras. Maryse, vers l'est. Francine, vers l'ouest. Un fil d'espoir entre les deux.

Le site du Défi Cyclo-myélome: www.cyclomyelome.org