Il s'est présenté à moi comme un fraudeur. Il a tout avoué en souriant. Fraudeur et fier de l'être.

«Votre nom?

- Simon Painchaud.

- Qui avez-vous escroqué?

- Mes voisins montréalais, noyés dans le cynisme avec la commission Charbonneau.

- Comment?

- Avec de vraies cartes de voeux signées par de faux voisins.

- Qu'avez-vous à dire pour votre défense?

- Il est possible de frauder autrement, sans rien voler à personne, en faisant un pied de nez aux réels escrocs. C'est un moyen d'autodéfense contre le cynisme.»

C'est ainsi qu'hier soir, comme un voleur, Simon Painchaud, avec l'aide de complices, a commis sa fausse fraude annuelle du temps des Fêtes. Pour la quatrième année, il a déposé des cartes de voeux anonymes dans les boîtes aux lettres du voisinage. Une centaine de voeux, écrits à la main, au verso de jolies photos qu'il a prises lui-même. Il a signé «vos voisins», avec une flèche qui pointe vers la porte de n'importe quel voisin. En haut ou en bas, à droite ou à gauche, selon l'inspiration du moment.

L'idée derrière cette petite fraude poétique, c'est que celui qui reçoit la carte pense que c'est le voisin immédiat qui la lui a donnée. Et que, sur la base de ce mensonge bien intentionné, des Montréalais qui ne se sont jamais adressé la parole échangent quelques mots, brisent leur solitude, sortent de leur anonymat. L'idée, c'est aussi de faire dévier le fil du quotidien pour provoquer une rencontre entre des gens d'un quartier qui se croisent sans se voir, s'entendent sans s'écouter.

Simon Painchaud, l'homme derrière le stratagème, a 31 ans. Il travaille dans le milieu des communications. Stratège en contenu, justement. Joueur de tours. Idéaliste. Amoureux de Montréal. «Tout ce que j'aime de Montréal, c'est les Montréalais. Le reste, c'est du décor.»

Il aime la diversité de Montréal. Sa résilience. Son côté rugueux. Son imperfection. Sa vie «hypercréative, mais tout croche».

Il aime penser que cette créativité avec un petit c, celle des citoyens, est une arme de choix contre la morosité et le désabusement suscités par les révélations de la commission Charbonneau.

«La créativité, c'est la relation à l'autre, c'est une possibilité de rapprochement, dit-il. C'est notre ciment.»

On parle des deux solitudes de Montréal, mais en fait, il y en a des milliers. «Je ne sais même pas ce que mes voisins font dans la vie! Ce serait pratique de le savoir. La confiance à Montréal vient de la base. De la générosité, de la curiosité envers les autres.»

On a l'impression de se parler dans les médias sociaux, mais, bien souvent, on ne se parle plus, on s'expose, sur nos nouvelles cordes à linge numériques. On fait du bruit pour exister. Et si on était plus curieux, plus à l'écoute? demande Simon. «La curiosité est le cousin plus accessible de la solidarité.»

D'où l'idée de titiller cette curiosité par une carte de voeux déposée à la dérobée dans une boîte aux lettres. «Tout ce qu'on reçoit d'habitude, c'est un Publi-Sac!»

Difficile de mesurer ce que son stratagème frauduleux suscite dans le voisinage. Un sourire? Un regard? Quelques mots? Une carte de plus dans le bac à recyclage? Une invitation improvisée? Mystère. Mais Simon aime imaginer les vraies conversations entre voisins, aussi anodines soient-elles, que ses cartes pourraient provoquer. Il aime cette idée d'avoir peut-être inventé des liens qui n'existaient pas.

Son souhait? Que Montréal devienne une ville plus interactive, mais pas seulement avec la technologie et les nouveaux médias. Alors que la ville patauge dans la corruption et le cynisme, il faut plus que jamais que notre ciment social soit fort, dit-il. «Entre nous, les Montréalais.»

Un vrai souhait de faux fraudeur.