Je ne suis pas de ceux qui, à l'instar de Justin Trudeau, s'opposent à tout renforcement de la loi 101. Les indicateurs de Statistique Canada ont beau être imparfaits, ils nous donnent assez d'indices pour reconnaître que l'équilibre linguistique à Montréal est à la fois complexe et fragile. Assez d'indices aussi pour reconnaître que la défense du français en contexte minoritaire n'est pas un choix, mais une condition de survie.

Si certaines mesures envisagées par le gouvernement Marois pour protéger la langue française me laissent sceptique, d'autres m'apparaissent incontournables. Je suis pour l'interdiction des écoles passerelles, qui créent injustement deux classes de citoyens: ceux qui par un tour de «passe-passerelle» achètent des droits linguistiques à leurs enfants et les autres. Je vois aussi d'un bon oeil le renforcement de la loi 101 en milieu de travail.

Cela dit, dans tous ces débats sur la langue, je m'inquiète de voir qu'on passe sous silence l'essentiel. On se préoccupe du statut de la langue française au Québec. On se préoccupe de son usage dans la chambre à coucher des Montréalais. On nous sert des tableaux avec des lignes brisées, des calculs savants et de noires prédictions. Mais qui parle de qualité de la langue?

En 2001, la commission Larose sur l'avenir de la langue française en parlait sans mâcher ses mots. Elle nous disait que l'enseignement boiteux du français est la principale menace à la vitalité de la langue, voire à sa survie au Québec. Elle nous disait qu'on ne pouvait tolérer que des maîtres ne maîtrisent pas eux-mêmes la langue. Elle avait formulé un certain nombre de recommandations pour que la qualité du français devienne une priorité dans le monde de l'enseignement.

Depuis, cette question, peu rentable politiquement, semble le plus souvent reléguée à l'arrière-plan ou au pays des voeux pieux. En suivant les débats sur l'avenir du français, tout se passe comme si l'on tentait d'ériger une clôture de plus en plus haute autour d'un magnifique jardin menacé. On discute de la hauteur de la clôture, de sa couleur, du nombre de clous... Chemin faisant, on oublie juste un truc: les fleurs ont soif. Vous n'auriez pas vu l'arrosoir?

Je sursaute chaque fois que je vois passer les chiffres de Statistique Canada sur l'analphabétisme au Québec. Leur publication ne suscite jamais autant de remous que les études sur la langue. Et pourtant, ces chiffres témoignent d'une véritable tragédie. Ils nous disent qu'un adulte québécois sur deux est un «analphabète fonctionnel». Un adulte québécois sur deux sait lire. Mais il ne comprend pas tout à fait ce qu'il lit. Un adulte québécois sur deux sait lire, mais pas assez bien pour saisir le sens d'un court article dans le journal.

Quand on dit «analphabètes», on imagine le plus souvent des gens d'une autre époque qui ont été forcés de quitter l'école pour l'usine. Il y en a, bien sûr. Mais aux côtés de ces gens de milieux ouvriers, on trouve de plus en plus d'analphabètes scolarisés - des jeunes qui sortent de l'école secondaire sans savoir ni lire ni écrire.

Il y a bien sûr des limites à ce qu'on peut exiger de l'État et de ses lois. Au-delà de son devoir d'exemplarité, le gouvernement ne peut pas favoriser la qualité de la langue par décret. Il ne peut pas donner des contraventions pour mauvais usage de la langue aux candidats d'Occupation double. Mais il peut adopter un certain nombre de mesures afin de promouvoir un français de qualité.

En campagne électorale, la ministre Agnès Maltais a promis de lancer un chantier sur l'alphabétisation. Si elle tient promesse et que cela mène à un plan de lutte contre l'analphabétisme, ce serait déjà un pas dans la bonne direction.

Autre exemple de mesures à adopter? L'an dernier, les universités ont aboli la limite de quatre échecs à l'examen de français que tous les futurs professeurs doivent réussir avant de pouvoir enseigner. Cette décision insensée, décriée par l'Association québécoise des professeurs de français, avait été approuvée par la ministre de l'Éducation de l'époque, Line Beauchamp. Un gouvernement qui se soucie vraiment de la promotion et de la défense de la langue devrait veiller à ce qu'on rétablisse une limite.

On sait que les trois quarts des étudiants en éducation ne réussissent pas le test de certification (TECFEE) du premier coup. Pour obtenir un brevet d'enseignement, la note de passage exigée est de 70%. L'examen est contesté. Certains le jugent trop difficile. Quoi qu'il en soit, on voit mal comment le fait de permettre un nombre illimité d'échecs peut être compatible avec la mission d'excellence du futur enseignant. Iriez-vous consulter un médecin qui a échoué quatre fois plutôt qu'une à ses examens? Pourquoi accepterait-on un tel nivellement par le bas pour ceux dont le rôle est d'apprendre à penser?

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