Pendant trois mois, ma collègue Marie-Claude Malboeuf a plongé dans l'univers troublant des gourous. Elle n'a pas eu trop de mal à les trouver: ils sont partout. Avec leurs méthodes farfelues, ils prétendent pouvoir vaincre le cancer, l'autisme, l'arthrite, le mal de vivre, l'hyperactivité, alouette... En deux clics sur internet, leurs «miracles» sont à la portée de tous ceux qui veulent bien laisser leur esprit critique au vestiaire et vider leur compte bancaire. Plus inquiétant encore, on les retrouve parfois dans des écoles et des hôpitaux.

On peut bien sûr ridiculiser les victimes qui succombent à ces gourous. Comme elles sont crédules...

Bien sûr qu'elles sont crédules. Il faut l'être pour faire confiance à un guérisseur autoproclamé.

Bien sûr qu'elles sont crédules. Mais elles sont avant tout vulnérables.

Pour avoir déjà été dans les souliers de quelqu'un qui reçoit un beau matin un diagnostic dont il ne veut pas, je comprends très bien l'impulsion de ceux qui, désespérés et désorientés, se tournent vers des vendeurs de miracles. Pas juste de pauvres gens naïfs, mais des gens autrement très terre-à-terre qui, d'un coup, sous le poids d'un diagnostic douloureux ou d'un profond mal de vivre, perdent l'équilibre.

Ils sont prêts à tout, soit pour effacer une mauvaise nouvelle larguée comme une bombe, soit pour lui donner un sens. Mettez sur leur chemin un pseudodocteur charismatique qui fait mine de les comprendre et prétend pouvoir les sauver en plein naufrage, il se peut qu'ils s'accrochent à sa bouée, sans se rendre compte de leur dérive.

Ces docteurs imaginaires ne se présentent pas avec l'étiquette «gourou» sur le front. Ils n'ont pas nécessairement l'air illuminés. Ils portent souvent un sarrau blanc et même un stéthoscope. Ils se donnent des airs sérieux, se font appeler «docteurs» et s'octroient des diplômes bidon. Ils sont parfois eux-mêmes des professionnels de la santé, défroqués ou non, ce qui leur donne de la crédibilité. Ils prétendent pouvoir réussir là où la médecine traditionnelle échoue. Parce qu'ils donnent un bon spectacle, ils bénéficient parfois de tribunes à la télé et à la radio, où ils peuvent vendre leur salade ésotérique. Liberté d'expression, je veux bien... Mais quand des médias donnent un sceau de crédibilité à des charlatans qui exploitent la vulnérabilité des gens, il y a lieu de faire un examen de conscience. Avoir une tribune est un privilège qui vient avec des responsabilités.

Il s'en trouvera pour répliquer qu'il n'est pas plus sage de boire les paroles des bons vieux médecins. C'est vrai. La médecine traditionnelle n'est pas à l'abri des erreurs et des dérives. Mais la différence entre les médecins et les guérisseurs, c'est que ces derniers n'admettent pas la critique.

Comme le souligne avec justesse le médecin et bioéthicien Marc Zaffran, cité dans le reportage de ma collègue, l'attitude du guérisseur en est une obscurantiste, beaucoup plus rigide que celle du médecin. Alors que le médecin doit sans cesse remettre en cause ses connaissances et laisse son patient solliciter un deuxième avis, le guérisseur exige de lui un acte de foi (et un chéquier).

Cela dit, même pour des professionnels de la santé, la frontière entre la science et la pseudoscience ne semble pas toujours claire. Fait troublant, au sein même des hôpitaux, plusieurs médecins et infirmières ont déjà tenté d'endoctriner des patients avec des approches psychospirituelles douteuses qui peuvent avoir de graves conséquences. Imaginez un peu une patiente suicidaire, à la santé mentale fragile, qui se fait dire par une infirmière, adepte de numérologie, d'astrologie et de reiki, qu'un proche décédé veut qu'elle suive ses traces...

L'ésotérisme vire parfois à la tragédie. Plusieurs Québécois sont morts après avoir boudé des traitements reconnus pour confier leur destin à un gourou. Les exemples compilés dans le reportage de Marie-Claude Malboeuf, dont je recommande vivement la lecture, donnent froid dans le dos.

Malheureusement, les mécanismes de surveillance permettant d'épingler ces gourous semblent inadéquats. Sur les quelque 60 guérisseurs dénoncés chaque année au Collège des médecins, seule une poignée est poursuivie pour exercice illégal de la médecine. Les autres reçoivent un simple avertissement. C'est sans compter tous ceux qui ne seront jamais dénoncés parce que leurs victimes sont mortes de honte.

En dépit des avertissements et des condamnations, plusieurs récidivent. Voyez par exemple le cas ahurissant de la naturopathe Myriam Villiard, condamnée pour exercice illégal de la médecine. Même si une injonction lui interdisait d'offrir des traitements, elle a persisté. Elle a soutiré 450$ à une dame atteinte d'un cancer de la peau, qui est morte. Elle a prétendu pouvoir soigner un enfant atteint d'une maladie rare. À ses parents désespérés, elle a vendu pour 1000$ de produits et d'analyses bidon. Rien ne peut justifier de tels «actes ignobles», a écrit un juge des petites créances.

La même Myriam Villiard est pourtant qualifiée de pionnière sur le site de la Commission des praticiens en médecine douce du Québec. Pionnière en charlatanisme?