«Maman, comment on dessine un drame?

- Un drame?»

Nous étions en vacances en France. Sans que je comprenne pourquoi, mon garçon de 5 ans avait ainsi décidé que l'heure était venue de dessiner un drame. Je me suis d'abord inquiétée de ce penchant précoce pour l'art tourmenté. Après, j'ai compris.

«Tu sais, maman, les drames qu'on a vus à Bordeaux?»

Il voulait dire «trams». C'était la première fois de sa vie qu'il en voyait. Si Gérald Tremblay avait tenu ses promesses, la chose eût été moins exotique. Il aurait pu voir rouler un tramway ici même à Montréal depuis plus d'un an. Rappelez-vous... En février 2006, de passage à Paris, le maire Tremblay, emballé par sa visite du chantier du tramway parisien, avait promis haut et fort qu'un tram roulerait sur l'avenue du Parc dans quatre ans «au maximum».

Enthousiaste, le maire se disait à l'époque déterminé à aller de l'avant «le plus rapidement possible» pour ramener le tramway à Montréal. «Le projet qui est réaliste, c'est l'avenue du Parc, mais on a beaucoup plus d'ambition», avait-il alors déclaré. Le projet de l'estacade du pont Champlain était aussi une priorité.

Quatre ans «au maximum». Cela fait maintenant cinq ans. Il avait promis 2010. Nous voilà en 2011. Il avait promis l'avenue du Parc, mais pas seulement l'avenue du Parc. De l'ambition ailleurs aussi. Priorité à l'estacade du pont Champlain.

Cinq ans plus tard, vous avez vu de quoi a l'air cet éternel chantier bouchonné qu'est l'avenue du Parc? Vous avez vu dans quel état est le pont Champlain, qui menace à tout moment de s'écrouler? Il est où, mon tram? Était-ce un lapsus? Peut-être ai-je mal compris. Peut-être que le maire voulait dire «drame», finalement.

Ainsi la neuvième journée «En ville sans ma voiture», hier, a été la neuvième journée avec voitures et sans tramway à Montréal. Avec le temps, la manifestation, qui se voulait audacieuse au départ, ressemble davantage à une figure obligée pour se donner bonne conscience ou faire le point sur les promesses non tenues. La journée se déroule dans la plus parfaite indifférence. Et pour cause. On ferme à la circulation un quadrilatère minuscule du centre-ville en dehors des heures de pointe pour s'assurer de ne déranger personne. Et on n'offre pas grand-chose en échange, pas même les transports en commun gratuits ou à tarif réduit, comme cela se fait ailleurs dans le monde. Qui va vraiment changer ses habitudes pour ça?

Et pourtant... Faire la vie dure aux automobilistes, lorsque c'est bien fait et porté par une vision d'ensemble cohérente, produit des résultats. Une ville comme Bordeaux l'a compris. En moins de 10 ans, la circulation a baissé de près de 20% dans l'agglomération bordelaise, de plus de 25% dans le centre de Bordeaux et de 75% sur le pont de Pierre, qui relie le centre-ville à la rive droite. On a piétonnisé une portion importante du centre-ville. On s'est réapproprié les quais pour en faire un lieu convivial. Et une bonne partie de l'espace autrefois occupé par des voitures est désormais réservé à trois lignes de tramway, prises d'assaut par les Bordelais. L'automobiliste entêté qui tient à s'aventurer quand même en ville sait qu'il a intérêt à laisser sa voiture dans le stationnement le plus près, à moins d'avoir une affection particulière pour les bouchons. Lorsqu'on a le choix entre monter à bord d'un tramway efficace, silencieux et élégant et être pris dans un bouchon, on hésite moins.

Pendant ce temps, à Montréal, on hésite encore. La chef de l'opposition Louise Harel n'a pas tout à fait tort quand elle dit que le projet de tramway ressemble à un mirage. Le plan triennal d'immobilisations dévoilé la semaine dernière prévoit que l'on investira 420 millions d'ici trois ans pour une ligne de tramway qui reliera Côte-des-Neiges au centre-ville. Mais rien de très substantiel n'est prévu avant 2014. Et rien n'est sûr non plus, car les investissements de la Ville sont conditionnels à l'obtention de subventions gouvernementales et de contributions du privé. Bref, le tram, ce n'est pas pour demain. Pour ce qui est du petit drame de la congestion routière, il demeure quotidien.