À première vue, il peut sembler étonnant qu'une majorité de parents se disent prêts à rester à la maison pour prendre soin d'un enfant pour 156$* par semaine. Mais l'est-ce vraiment?

Tout dépend comment on pose la question. Si on demande aux gens s'ils aimeraient avoir plus d'argent dans leurs poches, il y a de bonnes chances qu'ils répondent oui. Si on leur demande s'ils aimeraient que leurs enfants soient moins bien préparés pour aller à l'école, il y a de bonnes chances qu'ils répondent non.

Le réseau Familles d'aujourd'hui, qui a commandé le sondage Léger Marketing dont nous parle ma collègue Silvia Galipeau, fait campagne pour qu'on laisse les parents décider du mode de garde le plus avantageux pour leur famille. Au bon vieux slogan du Parti québécois «Un enfant, une place», on oppose le slogan «Un enfant, un choix», qui va dans le même sens que certaines propositions déjà défendues par l'ADQ. Le hic, c'est que sous le prétexte du libre choix, ce qu'on présente comme un plaidoyer en faveur du gros bon sens comporte des effets pervers inquiétants. Surtout dans les milieux les plus défavorisés où la solution «un enfant, un choix» n'en est certainement pas une.

Ce que révèlent sans surprise les résultats du sondage servant de munitions au réseau Familles d'aujourd'hui, c'est qu'une majorité de parents sont insatisfaits de la mise en oeuvre de la politique familiale actuelle. Les parents veulent plus de choix, plus de flexibilité. Ils veulent que l'interminable liste d'attente du CPE ne soit pas la seule avenue possible. Comment pourrait-on le leur reprocher?

Dans un contexte où l'universalité du service de garde à tarif réduit demeure un rêve inachevé, ces préoccupations sont tout à fait légitimes. Si notre réseau de garderies fait, avec raison, des jaloux dans bien des pays, il est loin d'être parfait et suscite son lot d'injustices. La pénurie de places favorise malheureusement l'essor de services de garde illégaux ou de piètre qualité. Il y a de ces garderies où on ne ferait même pas garder un chien et qui échappent pourtant à la surveillance du ministère de la Famille. Il y en a d'autres où on peut juste «oublier» un enfant derrière des portes closes sur les coups de 18h comme on oublie une ampoule allumée. Dans ce contexte, on comprend que de nombreux parents se disent qu'ils feraient mieux finalement de rester à la maison avec leurs enfants.

Les CPE de qualité existent, oui, mais encore faut-il faire partie des heureux élus qui pourront y être admis. Les garderies éducatives peuvent faire des miracles auprès des enfants de milieux défavorisés, oui, mais encore faudrait-il que ces enfants aient accès à la cour des miracles. Dans les faits, l'accès équitable n'existe pas. Que des familles nanties aient des places à 7$ alors que des familles pauvres n'en ont pas est un non-sens.

Aussi imparfait et coûteux soit-il, notre réseau de garderies demeure un investissement. Les études nous disent aussi que la pauvreté pèse lourd dans la genèse du décrochage, rappelle l'ex-député et chercheur en psychologie Camil Bouchard. Pour convaincre, à la fin des années 90, le gouvernement péquiste d'investir dans un réseau de garderies à tarif réduit, M. Bouchard avait en poche un graphique très éloquent sur une expérience menée dans un quartier très pauvre de Detroit. On y montrait que chaque dollar investi dans un service de garde éducatif permettait d'économiser 7,16$ en services sociaux par la suite (1).

Il y aurait beaucoup à faire pour rendre notre système de garde dit universel vraiment universel et équitable. On pourrait trouver de nouvelles façons de faciliter l'accès des enfants défavorisés, ceux qui justement gagneraient le plus à fréquenter un service de garde éducatif et structuré. On pourrait faire payer davantage les parents les plus nantis. On pourrait offrir plus de flexibilité aux familles (davantage de places à temps partiel, par exemple). Mais dans une perspective de bien commun, la proposition d'offrir 8000$ par année aux parents qui choisissent de demeurer à la maison avec leur enfant est irresponsable. Car sous le prétexte du gros bon sens, ce sont les familles les plus défavorisées (tant sur les plans financier qu'affectif ou culturel) qui en payeront le prix. Le sondage le montre bien. Plus le revenu familial est bas, plus la proposition de recevoir 156$* par semaine apparaît alléchante. Alors que 58% des parents qui ont un revenu familial de plus de 80 000$ sont séduits par l'idée, la proportion grimpe à 90% pour ceux dont le revenu se situe entre 20 000$ et 40 000$. Ce sont autant de gens qui renonceraient à une place dans un service de garde de qualité alors qu'il est prouvé que, pour les familles les plus défavorisées, ce service (pour peu qu'il existe) permet à l'enfant de pouvoir commencer l'école (et sa vie) du bon pied. Gros bon sens, dites-vous? Si on juge une société à la manière dont elle traite ses citoyens les plus vulnérables, cela ressemble davantage à un très mauvais calcul.

(1) Lire à ce sujet l'excellent numéro spécial de Québec Science, «Enfants: ce que la science révèle» (août-septembre 2010).

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca