Depuis ce jour où la terre a tremblé, le fils de Merlotte vit sous une tente à Port-au-Prince.

«Mamie, quand est-ce que tu viens me chercher?» lui dit-il au téléphone.

Merlotte a les larmes aux yeux en m'en parlant. Elle sort de son sac à main une photo d'écolier de son fils Paul, tiré à quatre épingles. Elle me la tend comme on tend un avis de recherche.

Elle aurait voulu sauter dans le premier avion et aller chercher son fils dans les décombres. «Je lui ai dit: "Mon enfant, tu sais, je t'aime. C'est pas ma faute. Je fais tout ce que j'ai à faire."»

J'ai rencontré Merlotte au café où elle travaille. Un petit bout de femme, digne, fière et pieuse, qui a bravé bien des tempêtes. Elle a quitté Haïti pour Montréal en 2001. Elle est arrivée ici comme réfugiée, dans des conditions difficiles, n'ayant pas le choix de laisser son fils unique derrière elle. Il n'avait que 6 ans.

Depuis, Merlotte se démène comme elle peut pour gagner sa vie et envoyer de l'argent à ses proches en Haïti. Elle cumule les petits boulots. Elle travaille comme cuisinière dans ce café Van Houtte du boulevard Crémazie. Elle travaille aussi sur appel quand elle le peut, comme préposée aux bénéficiaires.

Cela fait des années que Merlotte, qui a obtenu son statut de résidente permanente, a entrepris des démarches pour ramener son fils auprès d'elle. Quand la terre a tremblé le 12 janvier, elle a eu très peur de ne plus jamais pouvoir le serrer dans ses bras. Pendant des jours, elle a retenu son souffle. Elle ne dormait plus, elle ne mangeait plus. Et puis, il y a eu le coup de fil annonçant le miracle. Sa petite soeur qui habite à Paris l'a appelée. Elle avait eu la confirmation de Port-au-Prince que Paul était bien en vie. «Merlotte, ton fils est là. La maison est toute fissurée. Mais grâce à Dieu, ton fils est vivant!» Merlotte a remercié le ciel.

Le fils de Merlotte est vivant, mais en fait, il survit dans des conditions pitoyables, ce qui est loin de rassurer sa mère. «Il est sans-abri. Il n'a plus d'école. Il est dans la rue depuis trois mois.» C'est sa demi-soeur qui s'occupe de lui, comptant exclusivement sur l'argent que Merlotte leur envoie pour survivre.

Immigration Canada soutient que tous les enfants haïtiens touchés par le séisme sont sa priorité. Pourquoi alors le fils de Merlotte et tous les autres qui se trouvent dans sa situation n'ont pas eu droit au même traitement prioritaire que les enfants adoptés? Rappelons qu'après le tremblement de terre, le gouvernement canadien a permis à plus de 200 enfants haïtiens d'être réunis rapidement avec leur famille adoptive. Des démarches qui prennent normalement deux ans ont pu se faire en un mois, ce qui était une excellente nouvelle. Mais si on a pu agir aussi vite pour les uns, pourquoi ne pas avoir fait de même pour les autres?

Malgré un discours officiel vertueux, Immigration Canada n'offre malheureusement aucune explication satisfaisante pour justifier ce traitement à deux vitesses. On invoque entre autres le fait que les dossiers d'enfants adoptés étaient déjà presque complets et qu'ils ne nécessitaient pas de vérifications du lien de filiation. Des arguments qui ne tiennent pas la route, car bon nombre de parents d'origine haïtienne ont aussi, comme Merlotte, un dossier de parrainage presque complet, comprenant certificat de sélection du Québec, examen médical et test d'ADN. Il ne reste donc plus qu'à remettre le visa d'Immigration Canada.

«Mon fils est dans la rue depuis trois mois! Et on me dit: attends, attends, attends.» Mais attendre quoi et pourquoi? se demande Merlotte, qui trouve l'attente insoutenable. Elle a beau avoir remué ciel et terre, joint son député, appelé plusieurs fois Immigration Canada, rien n'a bougé pendant trois mois. Croyante, elle a même écrit une lettre à Dieu. «Il est capable de tout. J'ai écrit: «Mon Dieu, Seigneur, je veux avoir mon fils ce mois-ci.» Et j'ai signé.»

À défaut de pouvoir questionner Dieu, j'ai appelé Immigration Canada pour comprendre pourquoi ce dossier dit «prioritaire» n'était toujours pas réglé. «Nous sommes bien au fait du dossier pour lequel vous nous interpellez aujourd'hui et nous l'évaluons présentement», a répondu brièvement l'analyste en communications Mylene Beauregard. Peu de temps après mon appel, la petite soeur de Merlotte a reçu un courriel de l'ambassade d'Haïti lui demandant de s'y présenter. En fin de journée hier, on m'informait que le cas pourrait être résolu prochainement.

Avec un peu de chance, Merlotte et son fils pourront, qui sait, être bientôt réunis. C'est ce que je leur souhaite. Mais pour tous ces dossiers médiatisés, combien resteront dans les limbes?

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca