Quand on est entré dans le vestiaire du Canadien, c'était comme un voyage dans le temps. Faut dire que c'était le vestiaire reproduit dans le musée du Centre Bell. Celui de 1976.

Kevin Gilmore a eu des frissons. Il a vu les chandails de Serge Savard, de Larry Robinson, de Jacques Lemaire. Spontanément, il est allé s'asseoir dans le coin où on a placé les chandails de Ken Dryden, de Bunny Larocque, de Pete Mahovlich et de Guy Lafleur: «Ça, c'est mon coin», a-t-il dit, visiblement ému.

Ces grands gaillards, ceux de la dernière dynastie, c'étaient les dieux de son enfance. Quand la famille s'apprêtait à quitter Arvida au Saguenay pour s'installer à Québec: «Mes premiers souvenirs d'un match du Canadien, c'est en 1970. Je devais avoir 6 ans, c'était contre Boston dans les séries. J'ai encore des images», racontait-il, assis devant les chandails de ses idoles.

Kevin Gilmore, le nouvel homme de confiance de Geoff Molson, le successeur de Pierre Boivin, a grandi dans le sport. Il se souvient avoir entendu dire que son père avait même été coach de football à Chicoutimi. Vérifications faites, c'est vrai. Tony Gilmore a été l'entraîneur-chef du Labatt de Chicoutimi de la Ligue intermédiaire de football du Saguenay-Lac-Saint-Jean. L'année suivante, le Labatt est devenu les Majors et Tony Gilmore a poursuivi son travail. Même qu'il a mené son équipe au championnat. J'ai retrouvé des articles de journaux de l'époque qui vont faire bien plaisir au nouveau patron de l'organisation.

Son parcours est invraisemblable. À 26 ans, diplômé en droit, il s'est retrouvé à Los Angeles: «C'était une époque bénie pour les jeunes avocats qui voulaient se spécialiser dans les deals d'affaires. New York recrutait beaucoup mais moi, je me suis dit que tant qu'à m'exiler, aussi bien tenter le coup en Californie. Je me suis déniché un job dans un bureau d'avocats de Los Angeles, j'ai paqueté mes affaires dans mon char et je suis parti avec ma mère. On a traversé le continent. Elle m'a aidé à m'installer et je l'ai renvoyée à Montréal. Par avion», précise-t-il en souriant.

Aujourd'hui, Mme Tremblay vit à Saint-Lambert et suit la carrière et la vie de son fils de très près.

Puis, comme avocat, il a négocié de gros contrats avec Disney. Tellement efficace que l'énorme multinationale l'a invité à joindre les rangs de son contentieux: «J'étais content parce que Disney c'est gros, gros et que je pourrais négocier des contrats importants avec Nestlé, Coca-Cola, des films... en fait tout ce qu'était Disney», raconte-t-il.

Puis en 1993, Michael Eisner a produit un film de hockey qui a fait 100 millions de dollars de profits seulement aux États-Unis: The Mighty Ducks. «Pendant un an, je n'ai fait que travailler sur un nouveau dossier. Obtenir une équipe de la Ligue nationale de hockey. Je négociais avec Gil Stein tout en discutant du contrat de gérance du nouvel aréna d'Anaheim. Finalement, j'ai eu le feu vert quand j'ai obtenu les conditions maximales. C'était un contrat typique de Disney, autrement dit, on avait tous les avantages», dit-il.

Curieusement, c'est Gilmore qui va recommander l'embauche de Tony Tavares et c'est Tavares, devenu président des Ducks, qui va demander à Gilmore de devenir son bras droit: «Là, j'arrive à Montréal, dans une organisation incroyablement forte, implantée dans son milieu, forte de son histoire et de sa tradition. Je prends la relève de personnes qui ont fait un travail colossal. Mais à Anaheim, dans un marché occupé par les Kings au hockey, les Lakers et les Clippers au basket, par le football universitaire de UCLA et USC, tout était à construire. Même aujourd'hui, on compte sur 6000 ou 7000 billets de saison, ça veut dire qu'il faut vendre 10 000 billets par match. C'est une pression énorme. Surtout qu'à Los Angeles, à cause de toute cette offre sportive, les salles se remplissent selon les victoires, dit-il.

«À Anaheim, on comptait environ 5000 détenteurs de billets de saison, ensuite on se disait qu'on pouvait compter sur un autre 5000 qui assisteraient à plus de cinq matchs pendant toute une saison et finalement sur les amateurs qui regarderaient nos matchs à la télé. On estimait notre marché global à 40 000 amateurs», explique Gilmore.

Soulignons que le Canadien est suivi par près de 800 000 personnes à RDS, match après match. Grosse différence!

C'est un parcours de jeune loup du sport et de la finance. Il a été le bras droit de Tavares avec les Ducks et les Angels au baseball, négociant et préparant les contrats des millionnaires du sport. Dave Taylor, directeur général des Kings, est allé le chercher pour en faire son bras droit. Voilà le beau Kevin traversant le continent aux deux semaines comme directeur général et gouverneur des Monarchs de Manchester. Il se rappelle que la ville était divisée en deux. Un côté de la rivière, c'était les anglais et l'autre, c'était les franco- américains qui s'étaient installés en Nouvelle-Angleterre au début du siècle dernier: «Plusieurs parlent encore français et quand j'y étais, fallait que le maire parle français pour être élu», se rappelle-t-il en souriant.

Quelques années plus tard, quand il travaillera directement pour Philip Anschutz, le «A» de AEG, la multinationale du divertissement, c'est en Chine qu'il se rendra aux deux semaines: «Ç'a duré 18 mois. J'étais complètement brûlé. On a ouvert trois arénas en Chine, dont celle de Shanghai. Il y avait le décalage horaire qui faisait qu'à mon retour à Los Angeles, je continuais à travailler tard le soir ou à quatre heures du matin. C'était fou. Un matin, j'ai dit à ma femme Rachelle que je pensais lâcher. Elle a juste dit, calme: «Just do it!». Je suis allé voir Phil et je lui ai dit que je voulais changer de vie. Je me suis lancé à mon compte dans la consultation et dans une entreprise de construction de mini terrains de soccer. Ça fonctionne encore très bien», raconte-t-il.

Quand il parle en français, il n'y a aucune trace d'accent. Même pas celui du Saguenay. On sait qu'il a vécu en anglais depuis un quart de siècle parce que souvent, il glisse une phrase en anglais pour définir un point de business.

Mais il est resté très près de ses racines: «Quand ta mère s'appelle Tremblay et que tu lui parles très souvent, tu perds pas ton français. Et puis, ma femme parle français même si c'est une anglophone du West Island. Nous sommes contents de revenir chez nous. C'est le bon moment pour les enfants pour retrouver eux aussi leurs racines», dit-il.

Et pour le couple de revivre d'autres moments magiques à Montréal: «J'étais de passage à Montréal à l'automne 1995. Je suis allé manger dans un restaurant avec des amis. J'étais célibataire et j'ai remarqué une femme superbe. C'était la propriétaire du restaurant. Le hic, mes amis m'ont prévenu qu'elle était en couple.

«Au printemps suivant, je me suis arrangé pour aller manger encore à ce restaurant. J'ai su plus tard que Rachelle, la belle femme en question, a dit à un de mes amis de me faire savoir qu'elle était maintenant libre. Elle venait de se séparer. J'ai eu le message pendant la soirée. Je lui ai vite demandé de sortir le dimanche soir. Elle a accepté. Je suis reparti à Los Angeles, mais j'étais de retour deux semaines plus tard. On a sorti un autre dimanche soir. Ce soir-là, je l'ai invitée à venir me visiter à L.A. Deux semaines plus tard, elle venait passer une semaine en Californie. À la fin de la semaine, je la demandais en mariage, elle vendait son restaurant et on se mariait en juillet. C'était la femme de ma vie, c'est simple comme histoire, n'est-ce pas?»

Mais ça ne ferait pas un long téléroman...

Je suis rendu au bout de mon espace. J'ai pris plein de notes. Il y aura donc d'autres chroniques. Mais pour l'instant, Kevin Gilmore, c'est un peu pas mal ce que vous venez de lire...

Une belle acquisition pour le Canadien et pour le Québec.