L'autre jour, je suis revenu de la ville avec 15 livres, 15. Quatre achetés à ma librairie. Onze reçus au bureau. Imaginez ce que ce serait si, depuis 40 ans, je ne répétais pas tous les deux mois: NE M'ENVOYEZ PAS DE LIVRES.

Les donner? Ah oui! À qui? Prenons le premier sur la pile. La vie dans les camps de bûcherons au temps de la pitoune. Ne riez pas, je crois sérieusement que c'est un très bon livre, sauf, petit détail, que je me contrecrisse de la vie dans les camps au temps de la pitoune.

Les critiques, c'est leur métier. C'est normal qu'on leur envoie des livres. Je ne suis pas un critique. Je choisis mes livres, comme vous, en lisant les critiques. Ou en me fiant à des recommandations de lecteurs. Ou d'amis. Tiens, mon amie Suzanne, l'autre jour: as-tu lu Dans le noir jamais noir? C'est ma cousine qui l'a écrit.

Je l'ai acheté. Une petite plaquette de rien, 21 nouvelles là-dedans, forcément très courtes. J'en ai lu une tout de suite dans l'auto en sortant de la librairie. C'est une fille, un matin, elle est en train de couper une banane pour mettre dans ses céréales. Son chum lui dit: c'est fini. Qu'est-ce qui est fini? Nous deux, fini. Elle ramasse ses affaires, pas grand-chose, un peu de vaisselle, son linge, ses livres, mais pas son chat Zorro, parce que l'amie chez qui elle va s'installer est allergique aux chats.

Trois mois plus tard, elle reçoit un message de son ex: Zorro est mort. Désolé. Elle l'appelle: je pourrais passer? J'irais chercher une boîte en bois, on creusera un trou dans le jardin, tu sais où il aimait dormir, ça prendra pas de temps, je t'embêterai pas, je te promets... Le gars lui répond d'une voix neutre: trop tard, on est mardi, le truck à vidanges vient de passer, je l'ai mis dedans.

Tout le livre est de cette couleur-là, noir, mais jamais noir vraiment, la lueur qui traverse les 21 histoires, la lueur au bout du tunnel de la vie, si vous voulez, c'est l'écriture. Une écriture pas trop écrite, pas trop d'adjectifs, pas trop de falbalas. Exprès? Vous êtes drôle, vous. Bien sûr, exprès. Plus ça a l'air pas écrit, plus ça l'est.

Dans le noir jamais noir. La cousine, c'est Françoise Major. L'éditeur, La Mèche.

Durant l'avant-dernière campagne électorale, je m'étais arrêté dans le bout de Québec chez Alexandre McCabe, un jeune prof de littérature qui venait de gagner un concours littéraire à Radio-Canada. Le soir même, je lisais son texte dans un motel anonyme, enthousiasmé par sa prose. Je prédisais dans la chronique subséquente qu'un jour, ce gars-là, c'était sûr, allait écrire un livre dont on parlerait beaucoup.

C'est fait. Le livre est publié chez La Peuplade (l'éditeur de la rue Racine à Chicoutimi) sous le même titre - Chez la Reine - que le récit qui avait gagné à Radio-Canada et qui m'avait tant plu. On n'en parle pas beaucoup, comme je l'avais prédit, mais un peu quand même, et je viens de voir une pleine page de réclame dans la revue Liberté, qui dit de Chez la Reine: ce n'est pas tout d'écrire. Ce n'est pas tout de raconter de belles histoires. Ce n'est pas tout de parler de soi. Il faut savoir se situer. Se placer là où on doit être. Au péril de la littérature, s'il le faut.

Bon. Mais je ne vois pas où ni comment ce roman-là mettrait la littérature en péril, me semble que la littérature doit être contente comme tout qu'on lui dresse des gentils monuments comme celui-là, sagement écrits, avec plein d'adjectifs, et toujours le bon.

Faudrait que je retrouve le motel du récit originel. J'y ai laissé mon émotion sur la table de nuit.

Si vous êtes tanné des histoires sur Lance Armstrong, vous pouvez facilement faire l'économie de Cyles de mensonges par Juliet Macur, grand reporter au New York Times. Je vous en parle seulement pour une anecdote très connue du milieu cycliste - j'ai écrit là-dessus il y a longtemps, une anecdote dans laquelle l'auteure veut voir le ver qui était déjà Lance, il avait alors 21 ans, pas sûr que je partage entièrement son point de vue.

En 1993, une chaîne de pharmacies offre 1 million au coureur qui gagnera les trois grandes classiques américaines de vélo de cette année-là. C'est beaucoup de fric en 93, surtout dans le vélo, où les millions ne pleuvaient pas. C'était généreux et... complètement débile. Seulement en Amérique! Suivez-moi: le seul qui peut gagner les trois courses et donc le million est forcément celui qui va gagner la première. Ce fut Armstrong. Que pensez-vous qu'il fit? Ben tiens! Il est allé voir les autres favoris, il leur a dit: désolé, les boys, je suis maintenant le seul qui peut encore gagner le million. Combien vous voulez pour me laisser gagner les deux autres courses? Les autres favoris avaient tout à gagner en négociant, et Lance a remporté les trois épreuves et le million.

Bien sûr qu'il est croche. Mais plus croche que sont nonos les nonos qui ont eu l'idée de cette presque incitation à la triche? Plus croche que sont nonos les dizaines de millions de nonos américains qui l'ont porté si haut pendant 20 ans, niant l'évidence parce qu'elle venait de la vilaine France?

Comme l'anecdote du million, toute l'histoire de Lance Armstrong aura été une histoire très, très américaine.

PÉPÈRE LA VIRGULE - Je ne sais plus quand, j'ai employé ci-devant comme si c'était une locution démonstrative, ce monsieur-là, devant, or, voyez comme le français est une langue de cul, je me mets au bulgare la semaine prochaine. Or, ci-devant veut presque dire ci-derrière, ci-devant implique un état qui n'est plus, un ci-devant ministre n'est plus ministre, il l'a été.

Ah oui, j'ai dit aussi que la capitale du Montana était Billings, c'est pas Billings, c'est Helena. Vous verrez quand vous serez vieux...