L'été dernier, quand on a trouvé Amy Winehouse morte dans son appartement, j'avais découpé l'article, «Amy Winehouse a été retrouvée morte samedi en fin d'après-midi, à son domicile de Camden Square scruté en permanence par les paparazzis». Scruté en permanence! Ils ne savaient même pas qu'elle était morte, ils étaient là anyway. Au cas où elle serait sortie pour aller s'acheter des Tampax ou une tarte à l'oignon au delicatessen du coin. Clic clic, Amy Winehouse entrant à la pharmacie. Clic clic, Amy Winehouse mordant dans une pointe de tarte à l'oignon.

Les paparazzis, j'ai rien contre, c'est une occupation comme une autre, comme serveuse en patins à roulettes dans le resto du village du père Noël, ou femme de ménage dans un hôpital psychiatrique.

Je comprends très bien aussi les journaux qui publient les photos que les paparazzis ont prises d'Amy Winehouse, c'est pour faire des sous, des millions de gens achètent ces journaux-là, le News of the World (NoW), sans doute le plus jaune des journaux anglais, tirait à près de 5 millions d'exemplaires avant sa fermeture «obligée» l'été dernier après le scandale des journaux jaunes anglais. Six millions d'Anglais, pour un tirage record, se sont précipités sur le NotW quand il a titré: «F1 boss (Mosley) has sick nazi orgy with 5 hookers».

Ce que je ne comprends pas justement, ce sont les gens. Pourquoi achètent-ils ces journaux? Pourquoi veulent-ils voir ces photos? Amy Winehouse toute nue, mettons, mais entrant dans une pharmacie?

À Londres, l'autre semaine, à l'enquête sur les dérapages des tabloïds anglais, J.K. Rowling (l'auteure de Harry Potter) a révélé que les paparazzis campaient devant chez elle, qu'un journaliste avait intercepté sa petite fille de 5 ans et glissé une demande d'entrevue dans son sac d'école, que la photo de sa fille de 8 ans en bikini avait circulé sur l'internet et que même en recourant à 50 avocats, elle n'arrivait pas à protéger se vie privée.

«J.K. Rowling tire à boulets rouges sur les tabloïds», disait le titre. Pourquoi sur les tabloïds? Pourquoi pas sur les gens?

Je ne comprends pas les gens.

Tenez, moi, qui ne suis personne, qu'on ne voit jamais à télé, qui ne fais pas d'orgie nazie, qui ne vais pas aux putes, qui ai la même fiancée depuis plus de 30 ans, qui écris la même chronique depuis 40 ans, qui ne bois pas, ne fume pas, ne prends pas de drogue, dont la plus grande originalité est de collectionner les timbres de la poste du Luxembourg, qui fais des farces que personne ne comprend, qui ne vis jamais rien d'exceptionnel (sauf une coloscopie en novembre 2007), moi qui suis l'envers d'une vedette comme l'était Amy Winehouse ou comme l'est Mme Rowling ou Réjean Tremblay, eh bien moi, des paparazzis, je n'en vois jamais dans ma cour.

Ben justement! Comme il n'y a pas de paparazzi dans ma cour pour prendre ma photo, devinez quoi! Les gens viennent me voir directement.

Tous les week-ends que le bon Dieu ramène, parfois en semaine, surtout l'été, mais l'automne et le printemps aussi, des autos passent à 10 à l'heure devant chez moi, pas en procession, mais quand même, on dirait que chaque fois que je regarde dehors, tiens! un autre! ils vont au pas comme sur un lieu historique, ma fiancée les appelle les vouèreux, que viennent-ils vouère? Sais pas.

Ma tondeuse à gazon, ma boîte à malle, mon garage, un chat dans la cour? J'ai même déjà été une halte sur un circuit régional tracé pour des autobus de l'âge d'or, la halte avant moi était une maison où on avait été tourné je ne sais plus quel téléroman. Cela ne me dérange pas vraiment. C'est juste que je ne comprends pas.

C'était dimanche dernier, je venais de passer l'après-midi dans le bois, j'en suis sorti à la brunante, ma hache à la main, Tonton me suivait comme un petit chien, on venait d'arriver au chemin de gravier où passent les autos, celle-là est passée lentement, s'est arrêtée, la vitre côté chauffeur s'est baissée: vous êtes monsieur Foglia? C'est lequel de vos chats, celui-là?

Tonton m'a dépassé en courant pour filer vers la maison.

C'est Tonton, j'ai dit.

Ç'eût été à mon tour de poser des questions, lui demander son nom, d'où il était, me forcer à quelques civilités, mais je suis resté muet, il a fini par dire très gentiment qu'il était content de m'avoir rencontré et il est parti.

Il ne m'a pas dérangé du tout, c'est juste que je ne comprends pas. Si je rencontrais J.K. Rowling? Je ne saurais pas que c'est elle. Si j'avais croisé Bukowski ou Louis-Ferdinand, si je croisais aujourd'hui Annie Ernaux, Isabella Rossellini... Hanna Schygulla, dites-vous? Celle du Mariage de Maria Braun? Mais même celle d'aujourd'hui, presque aussi vieille que moi, Hanna, je meurs drette là... mais jamais je n'oserais approcher, et pour quoi faire, grand Dieu? pour lui dire quoi?

Sur ce sujet de la célébrité, Vincent Delerm - non, ce n'est pas le fils d'un paparazzi, c'est le fils d'un inspecteur de paralumes dans les tunnels routiers -, Vincent Delerm, donc, a écrit une des plus belles chansons à avoir été écrites depuis toujours... c'est le soir où près du métro/nous avons croisé Modiano/le soir où tu ne voulais pas croire/que c'était lui sur le trottoir/le soir où j'avais dit tu vois/la fille juste en face du tabac/tu vois le type derrière, de dos/en imper gris, c'est Modiano...

Comme ça, en imper gris et de dos, la célébrité, ça va.