Bizarre à quel point le mot « reconstruction » effraie le Canadien. Encore une fois, hier, Marc Bergevin s'est gardé de l'utiliser en commentant ses décisions des derniers jours. Comme si Geoff Molson et lui craignaient que le Centre Bell se vide s'ils embrassaient haut et fort ce concept, qui signifie simplement prendre des pas de recul pour mieux rebondir dans deux ou trois saisons.

Les amateurs, j'en suis pourtant convaincu, appuieraient la direction si elle s'engageait officiellement dans cette voie. Parce qu'ils savent que la stratégie actuelle, fondée sur la nécessité de participer aux séries éliminatoires chaque saison, ne conduira pas à l'obtention d'une 25e Coupe Stanley à brève échéance.

Au mieux, l'équipe fera illusion durant le calendrier régulier avant de vite s'éclipser en séries éliminatoires, quand les meilleurs clubs augmentent leur niveau d'un cran ; au pis, elle s'effondrera comme la saison dernière, générant plus de frustration que d'enthousiasme.

En entendant Bergevin rappeler que des « surprises » surviennent, que des favoris sont parfois éliminés dès le premier tour, j'ai été partagé entre l'admiration et l'incrédulité.

Il y avait en effet quelque chose de beau à entendre le DG faire preuve d'autant d'espoir, assurant que son équipe serait jeune, rapide et combative. En revanche, la croit-il vraiment capable de renverser les Maple Leafs de Toronto et le Lightning de Tampa Bay, deux puissances de la LNH qui sont dans la division du CH ?

Plus tôt dans la journée, en embauchant John Tavares, les Maple Leafs ont pourtant fourni à Molson et à Bergevin l'ultime coup de pouce pour annoncer une reconstruction. L'écart entre les deux équipes, déjà considérable, s'est encore élargi.

La décision de Tavares fait mal, d'autant plus qu'il n'a même pas voulu écouter les propositions du CH. L'organisation rêvait pourtant de l'attirer à Montréal. 

Au tournoi de golf de l'équipe en septembre dernier, Molson avait publiquement mentionné son nom.

Le « Plan », oui ce fameux plan qui ressemble maintenant à un organisme vivant tant ses contours sont en constante mutation, était basé en bonne partie sur l'acquisition de Tavares. Cela rappelle qu'il est hasardeux de confondre « plan » et « billet de loterie ». Il n'est pas impossible de toucher le gros lot, mais c'est plutôt rare...

Cela dit, le choc aurait tout de même été moins brutal si Tavares était demeuré avec les Islanders de New York ou avait choisi l'offre des Sharks de San Jose. Voilà qu'il se retrouve plutôt avec un rival direct du CH. La saison prochaine, Auston Matthews et lui seront les deux premiers centres des Maple Leafs.

Après qu'on a tous dit « ouch ! » en songeant à leur force de frappe, il me semble que la suite logique est de dire : bon temps pour le CH pour accélérer sa reconstruction.

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Oui, j'utilise le verbe « accélérer ». Parce que malgré les réserves de Bergevin face au fameux mot qui commence par la lettre « R », le Canadien, que le DG le veuille ou non, est engagé dans une amorce de reconstruction.

Deux des piliers de cette opération sont Jesperi Kotkaniemi et Ryan Poehling. La présence de ces jeunes centres au camp de perfectionnement des derniers jours a soulevé beaucoup d'enthousiasme. À l'évidence, le premier a un potentiel extraordinaire ; et le second, qui a pris du coffre, s'approche de la LNH. 

Et comme Bergevin l'a rappelé avec raison, les jeunes sont souvent prêts pour la LNH plus rapidement que dans le passé.

Résultat, j'envisage aujourd'hui l'avenir à moyen terme du CH avec plus d'optimisme que l'été dernier. Le dernier repêchage a entraîné un afflux bienvenu de jeunes joueurs au sein de l'organisation. Je ne regrette pas le départ d'Alex Galchenuyk, je crois que Max Domi nous surprendra et j'applaudis la transaction créative qui a permis à Bergevin d'obtenir Joel Armia des Jets de Winnipeg.

Mais je sais aussi que la patience est de mise. Le Canadien aura besoin d'autres excellents choix au repêchage pour se renforcer.

Voilà pourquoi j'aimerais que Molson et Bergevin franchissent le pas et optent sans réserve pour la reconstruction, au lieu de ménager la chèvre et le chou à ce propos. 

Et s'ils ne plongent pas dès maintenant, souhaitons que ce soit le cas à la prochaine date limite des transactions, période où des prétendants à la Coupe Stanley seront intéressés par Max Pacioretty et Shea Weber.

Pour l'instant, Bergevin agit néanmoins dans une logique de reconstruction. Il cite avec fierté la liste de jeunes joueurs qui se sont joints à l'organisation au cours des derniers jours, signe d'un virage évident.

Cet été, il ne s'est pas encore tourné vers des vétérans comme Mark Streit, Ales Hemsky ou David Schlemko dans l'espoir de combler des lacunes. Bien sûr, Tomas Plekanec est de retour, ce qui n'envoie pas un message de renouveau, mais le DG a justifié adéquatement sa décision hier.

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En embauchant Bergevin en 2012, Molson lui a donné le mandat de « réinstaurer une culture d'équipe gagnante à long terme ». Le Canadien a flirté avec cet objectif en 2014, mais une suite de mauvaises décisions a stoppé cet élan.

Remettre le train sur les rails de manière durable n'est pas un défi qui se réglera en un an. Les partisans le savent. Et ils seront patients s'ils croient en l'avenir. Parce qu'une reconstruction bien menée est source d'espoir. Mais encore faut-il avoir le courage d'aller au bout de l'exercice, quitte à souffrir dans l'intervalle.

L'exemple des Maple Leafs rappelle à Molson et à Bergevin que pour mettre sous contrat un joueur autonome de renom, bâtir une jeune équipe talentueuse est un point de passage obligé. Si Kotkaniemi et Poehling se développent comme on l'espère, le CH en sera peut-être là dans deux ou trois ans. Dans ce contexte plus prometteur, il ne faut pas avoir peur du mot « reconstruction ».