Durant deux heures samedi soir, on a espéré que les trompettes retentiraient dans le ciel de Montréal sur le coup de 22h.

À défaut de se qualifier pour les séries éliminatoires, le Canadien a été dans la course jusqu'au bout pour l'obtention du premier choix au repêchage. Hélas, le rêve ne s'est pas concrétisé et l'espoir le plus convoité de la planète hockey aboutira à Buffalo. Voilà donc un autre adversaire direct du Canadien qui s'améliorera beaucoup à court terme.

Bien sûr, il faut se réjouir que le Canadien choisisse au troisième rang alors qu'il aurait pu glisser jusqu'au septième. Mais les experts de la cuvée 2018 sont unanimes : Rasmus Dahlin occupe seul le sommet de la hiérarchie.

On retrouve ensuite trois autres joueurs super bien cotés, mais plus difficiles à départager. Marc Bergevin a raison de dire que le CH mettra la main sur «un bon joueur». Mais Dahlin est un talent exceptionnel qui aurait pu transformer l'équipe, en plus d'alléger l'énorme pression sur le DG. Il aurait été une pierre angulaire de son fameux «plan».

Imaginons l'ambiance autour du club ce matin si le Canadien avait remporté la loterie. Sur le plan psychologique, la transformation aurait été gigantesque. L'optimisme aurait chassé le désabusement. Les fans attendraient avec impatience les débuts du prodige suédois dans la LNH.

Les responsables des ventes et du marketing de l'organisation, tout comme les détenteurs des droits de télé, auraient débouché le champagne. Oui, «l'effet Dahlin» aurait été immédiat. Et la triste réalité, c'est qu'il n'y aura pas à court terme d'«effet» Svechnikov, Zadina ou Tkachuk. Peu importe celui qui se joindra au Canadien, le buzz ne sera jamais aussi fort que si Dahlin avait abouti à Montréal.

Cela dit, attendons un peu avant de remettre au jeune défenseur les clés du Temple de la renommée. L'histoire du hockey démontre que les premiers choix ne remplissent pas toujours leurs promesses. Et le Canadien est bien placé pour le savoir, lui qui a choisi Doug Wickenheiser en 1980, la dernière fois où il a sélectionné au premier rang.

Wickenheiser, et je le précise à l'intention des lecteurs plus jeunes, était un surdoué du hockey junior canadien. Ses prouesses avec les Pats de Regina annonçaient des lendemains qui chantent. Il était le prototype du gros joueur de centre dont rêvaient toutes les organisations.

Le lendemain du repêchage, une photo publiée dans La Presse le montre entouré du DG Irving Grundman et de l'entraîneur-chef Claude Ruel sous le titre : «Doug Wickenheiser... sur mesure pour le Canadien».

Dans l'article, on précise que le CH voit en lui le successeur de Jacques Lemaire. L'enthousiasme est tel que, sur le coup, on pardonne à l'organisation de ne pas avoir opté pour un p'tit joueur de centre évoluant dans sa cour arrière : Denis Savard.

On connaît la suite : avec les Blackhawks de Chicago qui l'ont réclamé au troisième rang, Savard deviendra un des joueurs les plus électrisants de sa génération. Et Wickenheiser ne s'est jamais développé comme espéré.

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C'est à Buffalo que les amateurs de hockey ont fait la fête samedi soir. Comment ne pas se réjouir pour eux? Les Sabres ont raté les séries éliminatoires au cours des sept dernières saisons! Même l'arrivée de Jack Eichel en 2015 ne leur pas encore fourni l'élan espéré. Malgré tout, les fans demeurent fidèles à leur club.

Cette extraordinaire patience sera peut-être enfin récompensée. Si Dahlin s'impose au fil des saisons comme un des meilleurs défenseurs de la LNH, les Sabres deviendront une équipe de pointe. Et si les Bills réussissent le même exploit dans la NFL - ils ont choisi un quart-arrière au premier tour jeudi dernier -, cette ville passionnée de sport vivra enfin de belles émotions.

L'émergence des Sabres compliquerait encore la tâche du Canadien, déjà en lutte contre de coriaces rivaux au sein de sa division : les Bruins de Boston, le Lightning de Tampa Bay, les Maple Leafs de Toronto, les Panthers de la Floride... Aucun de ces clubs n'arrive au bout de sa «fenêtre d'opportunité». Ils détiennent les atouts pour être bons longtemps.

Voilà pourquoi Marc Bergevin et Trevor Timmins doivent, plus que jamais, viser juste avec leur choix de premier tour. Peut-être que les trois attaquants considérés comme les meilleurs espoirs après Dahlin deviendront tous des vedettes du circuit. Mais c'est loin d'être certain. Et les Hurricanes de la Caroline auront déjà sélectionné l'un d'eux lorsque le CH se prononcera.

Bergevin pourrait aussi nous surprendre en échangeant ce choix. Ses propos après le tirage au sort indiquent qu'il ne rejette pas complètement l'idée : «On a tellement souffert pour l'obtenir, ça va prendre une très bonne offre pour qu'on bouge.»

Cette approche est intéressante. Après tout, qui sait si une «bonne offre» ne se présentera pas? Avec les nombreux besoins de l'équipe, le DG ne doit écarter aucune option.

Geoff Molson en tête, l'organisation a rejeté l'idée d'une reconstruction. L'objectif est de vite revenir dans la course aux séries. Avec deux vedettes (Carey Price et Shea Weber) âgées de 30 ans et plus, et un DG qui joue manifestement son va-tout, la stratégie ne reposera certes pas sur la patience et le développement à long terme.

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L'obtention du premier choix au repêchage aurait dynamisé le CH de plusieurs façons. Mais au bout du compte, le boulier a rendu son verdict : même si ce troisième choix contribue à ouvrir au CH une route vers le succès, il n'y aura pas de raccourci.

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Doug Wickenheiser