Marc Bergevin n'a pas conclu cet échange spectaculaire, capable de propulser le Canadien loin en séries éliminatoires, auquel les amateurs rêvaient. Matt Duchene ne prend pas la route de Montréal, Gabriel Landeskog non plus. Résultat, l'attaque tricolore demeure unidimensionnelle, un lourd problème à l'approche du printemps.

Mais puisqu'aucune équipe n'a mis le grappin sur une jeune vedette de l'Avalanche du Colorado, on en déduit que le prix exigé était démesuré. Dans les circonstances, difficile de reprocher au DG de ne pas avoir frappé ce coup de circuit. Surtout si Joe Sakic avait les yeux sur Mikhail Sergachev, le meilleur espoir - et de loin! - parmi la relève suspecte du Canadien. Quand on connaît la valeur que Bergevin accorde aux défenseurs, on l'imagine mal s'en départir.

Le DG s'est donc rabattu sur le type d'opération pour lequel il est passé maître : l'ajout massif de joueurs de soutien qui, avec un peu de chance, donneront un coup de main à l'équipe dans la dernière ligne droite. Rappelez-vous l'hiver 2015 lorsqu'il a obtenu Devante Smith-Pelly, Torrey Mitchell et Brian Flynn. Sauf qu'il avait aussi remporté le derby Jeff Petry, alors un des joueurs les plus demandés.

Cette année, l'objectif de Bergevin était de dénicher des gars imposants physiquement afin de réduire la dépendance du Canadien à ses trop nombreux petits attaquants. Sur ce plan, il peut dire mission accomplie. À talent égal, mieux vaut un joueur de quatrième trio plus costaud.

La journée d'hier laisse néanmoins une impression d'inachevé. Et cela en raison des ennuis du Canadien à marquer des buts. La récolte des dernières heures est abondante - trois attaquants et deux défenseurs -, mais le hockey est comme la cuisine : la quantité de nourriture dans l'assiette n'a aucun lien avec la saveur du plat.

Pour saisir le potentiel des nouveaux porte-couleurs du CH, il suffit d'analyser ce que Bergevin a cédé en retour : pas d'espoirs, pas de hauts choix au repêchage, pas de joueurs établis. Comme les cadeaux n'existent pas dans cette ligue, cela en dit long sur leur potentielle contribution à l'équipe.

Cela dit, reconnaissons au DG son mérite : dans un marché timide, il a brassé des cartes. Le Canadien est une équipe légèrement meilleure aujourd'hui. Un peu de sang neuf fera du bien à ce club ayant déçu depuis janvier. Et si l'une des nouvelles additions fait véritablement sa marque (Jordie Benn à la ligne bleue, peut-être?), Bergevin aura profité d'une aubaine.

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En embauchant Bergevin en mai 2012, Geoff Molson lui a confié un mandat : redonner à l'équipe «une culture gagnante». Même si la dernière saison a été décevante, le DG a bien relevé ce défi.

Mais on se demande parfois si, dans la LNH d'aujourd'hui, penser constamment à l'avenir est compatible avec l'objectif ultime, soit la conquête de la Coupe Stanley. Si une équipe alignant un gardien de la trempe de Carey Price, actuellement à l'apogée de sa carrière, hésite à conclure une transaction audacieuse pour combler un besoin pressant en attaque, perd-elle sa chance de se rendre jusqu'au bout?

La réponse à cette question n'est pas évidente. En point de presse hier, j'ai abordé cet enjeu avec Bergevin, lui demandant s'il acceptera un jour de déroger à un de ses principes, soit de ne pas échanger ses choix de premier tour ou des éléments clés de la relève.

«Je n'ai aucun problème avec ça, a-t-il répliqué. Dans le passé, je n'ai pas eu peur de faire de gros coups. Mais c'est toujours une question du prix à payer. Si je vois que ça peut aider l'organisation, je le ferai. Sinon, je ne le ferai pas.» 

De la même façon, une équipe comme le Canadien, qui vise une participation annuelle aux séries, peut-elle entretenir l'espoir légitime de tout rafler? Après tout, les Maple Leafs de Toronto et les Oilers d'Edmonton, deux équipes qui ont pataugé dans la médiocrité durant d'interminables saisons, ont à mon avis de meilleures chances de gagner la Coupe dans un délai de cinq ans. Leurs performances misérables leur ont permis de repêcher Auston Matthews et Connor McDavid.

À ce sujet aussi, Bergevin appelle à la prudence. «C'est certain que tu as plus de chances si tu finis au sous-sol et que tu vas chercher des joueurs de concession, mais c'est pas impossible de le faire sans ça non plus», citant en exemple les Bruins de Boston (2011) et, jusqu'à un certain point, les Kings de Los Angeles (2012 et 2014).

Cela dit, le Canadien a sélectionné Price au cinquième rang en 2005 et Alex Galchenyuk au troisième en 2012. Si le numéro 27 s'établit de manière durable comme un attaquant de pointe, cela renforcera le CH plus que n'importe quelle transaction.

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On le sent clairement : les trois dernières victoires ont redonné de l'entrain au Canadien. Bergevin espère que cela aidera les attaquants en panne sèche à retrouver le fond du filet. «On peut jouer avec un pied ou une épaule en mauvais état, a-t-il dit. Mais sans confiance, c'est très difficile.»

Tout cela est vrai. Mais maintenant que le jour limite des transactions est derrière nous, et que le renfort offensif souhaité ne s'est pas matérialisé, il est évident que le plan du CH s'articule plus que jamais autour de trois éléments : des matchs à bas pointages, des buts arrachés à la dure et des miracles de Carey Price.