Assise dans l'antichambre du vestiaire des Carabins plus tôt ce printemps, Danièle Sauvageau rappelle ce jour de l'automne 2007 où Manon Simard, directrice des programmes sportifs de l'Université de Montréal, lui a demandé de lancer une équipe de hockey féminin. Elle n'a pas oublié l'endroit de la conversation: un resto au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Urbain.

«À l'époque, j'étais mentore auprès de plusieurs sports en prévision des Jeux olympiques de Vancouver, dit-elle. Je me suis sentie privilégiée de recevoir cette offre. Jeune, je rêvais de jouer au basket universitaire. Mais ça ne s'est jamais concrétisé. Et le hockey encore bien moins... Faire partie de cette famille universitaire, qui voulait s'établir dans le sport d'excellence, ça me parlait beaucoup!»

Les Carabins ont disputé leur premier match à l'automne 2009. En mars dernier, à Calgary, l'équipe a remporté un deuxième titre interuniversitaire canadien en sept saisons.

L'Assemblée nationale saluera aujourd'hui cette réussite exceptionnelle. Un honneur mérité pour le groupe de direction et les joueuses.

Ce succès constitue un baume au moment où les nuages s'accumulent au-dessus du hockey québécois, comme le rappelait récemment mon collègue Marc Antoine Godin dans une saisissante série d'articles: déclin du nombre de joueurs d'ici dans la LNH, baisse de participation chez les jeunes, difficultés à développer les habiletés individuelles, querelle entre le hockey civil et le hockey scolaire...

Dans cet univers aux nombreux défis, le hockey féminin progresse, même si le nombre de participantes est trois fois moins élevé qu'en Ontario. Cela dit, Danièle Sauvageau apprécie les petites victoires, surtout lorsqu'elles transmettent un symbole fort. «À la télé, on parle de plus en plus souvent de "hockey masculin", indique-t-elle. On ne voyait jamais ça auparavant. Il y avait le "hockey" et le "hockey féminin".»

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Comment démarre-t-on une équipe d'élite universitaire? Le recrutement, l'aménagement des installations et l'organisation d'entraînements en vue de la première saison comptent parmi les priorités. Mais rien n'est plus important que les valeurs sur lesquelles le socle de l'organisation reposera. C'est ainsi, Danièle Sauvageau en est convaincue, que l'on construit une formation gagnante. Pas seulement sur la patinoire, mais dans la vie de tous les jours.

Ce principe a conduit à l'embauche d'Isabelle Leclaire, une femme avec un solide parcours, au poste d'entraîneuse-chef.

«Je connaissais depuis longtemps sa rigueur et son souci du détail, explique Danièle Sauvageau. Dans nos premiers entretiens, je ne lui ai pas demandé sa conception de l'avantage numérique! Je savais qu'elle avait une capacité d'emmagasiner de l'information, de la traiter et de la transmettre aux joueuses. Alors on a plutôt parlé de valeurs et de culture.

«Je voulais qu'elle développe l'ADN de l'équipe et qu'elle inspire les jeunes. On accueillerait plusieurs grandes ados qui, cinq ans plus tard, deviendraient des jeunes femmes dotées de compétences acquises au sein de notre programme.»

Danièle Sauvageau est une habile communicatrice. Mais ses résultats sont encore plus impressionnants que sa facilité à exprimer ses idées et expliquer ses projets.

En 2002, par exemple, elle a conduit Équipe Canada à la conquête de la médaille d'or de hockey féminin aux Jeux olympiques de Salt Lake City.

En plus de son travail de directrice générale des Carabins, elle souhaitait transformer en éclatant succès les Jeux mondiaux des policiers et pompiers, qui devaient avoir lieu à Montréal l'été prochain. Leur annulation lui a fait très mal, ainsi qu'à toute son équipe. Ces jours-ci, la grande patronne supervise plutôt la clôture des opérations.

Le Québec aurait avantage à profiter de sa soudaine disponibilité. Avec son expérience internationale, ses connaissances sportives et son approche humaniste, elle pourrait aider à trouver des solutions à des problèmes touchant le développement de notre hockey.

Pensons, par exemple, à ce dialogue de sourds entre le hockey civil, incarné par Hockey Québec, et le hockey scolaire, représenté par la Ligue de hockey préparatoire scolaire. La situation s'envenime sans cesse. Et ce sont nos jeunes qui en paieront éventuellement le prix. Le ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport restera-t-il inactif devant ce bras de fer?

Sébastien Proulx, qui occupe ce portefeuille depuis trois mois, aurait avantage à profiter de la visite de Danièle Sauvageau à Québec aujourd'hui pour discuter de cet enjeu crucial. Car si quelqu'un a les atouts et la crédibilité pour favoriser un rapprochement entre les deux parties, c'est bien elle.

Danièle Sauvageau connaît à fond le hockey fédéré, ayant longtemps travaillé avec Hockey Canada. Elle croit aussi au sport étudiant, comme son engagement avec les Carabins le démontre.

Le hockey mineur au Québec est à la croisée des chemins. Le grand schisme qui se dessine entre l'approche civile et l'approche scolaire n'augure rien de bon. La formation d'un groupe de travail où chaque partie pourrait s'exprimer clairement éclairerait le ministre, le public et permettrait peut-être de créer des ponts. Les deux organisations ont chacune un rôle à jouer et devront apprendre à vivre ensemble.

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Les porte-couleurs des Carabins vivront de grandes émotions à l'Assemblée nationale aujourd'hui. Pensons, par exemple, à Catherine Dubois, une fille de Charlesbourg qui a étudié au cégep de Limoilou avant de rejoindre l'Université de Montréal, l'automne dernier.

«Nous avons eu un début de saison difficile, mais on ne s'est pas découragées, explique-t-elle. Isabelle [Leclaire] avait un plan et on l'a suivi. Et même si on doutait un peu de nous-mêmes, sa confiance nous a rassurées.»

Le plus récent championnat des Carabins consacre l'excellence du programme chapeauté par Manon Simard, Danièle Sauvageau et Isabelle Leclaire. Il rappelle aussi que le hockey québécois peut toujours s'illustrer sur la scène nationale.