Une interrogation m'a longtemps habité à propos de la LNH.

Comment ses dirigeants, des gestionnaires doués et audacieux, peuvent-ils être aussi insouciants à propos du lien entre les bagarres et les commotions cérébrales?

Ignorent-ils l'évidence, c'est-à-dire que cogner son adversaire à la tête constitue un risque élevé de choc au cerveau?

Et si la sécurité des joueurs est réellement une de leurs principales préoccupations, comme ils aiment le rappeler, pourquoi ne pas interdire les combats?

Aujourd'hui, on apprend que ces décideurs, sans le reconnaître publiquement, étaient conscients des risques. Leur erreur a été de ne pas agir pour changer cette triste réalité.

Peu après la mort subite de trois durs à cuire dans des circonstances dramatiques en 2011, le commissaire adjoint Bill Daly résume le danger des bagarres dans un courriel expédié à son patron, Gary Bettman, et au préfet de discipline du circuit, Brendan Shanahan: «Les combats augmentent les risques de blessures à la tête et de commotions, ce qui augmente les risques de dépression, ce qui augmente les risques de tragédies personnelles.»

Voilà qui est d'une clarté absolue. Shanahan enchaîne en expliquant à ses collègues que les bagarreurs d'aujourd'hui, contrairement à leurs prédécesseurs, n'espèrent pas améliorer leur jeu afin de se hisser du quatrième au troisième trio. Ils veulent simplement devenir plus menaçants au bout du poing. Et pour composer avec les terribles effets de leur spécialité, ils consomment des pilules. Des pilules pour dormir, des pilules pour se réveiller, des pilules pour soulager la douleur...

Ces affirmations de Shanahan auraient dû sonner l'alarme. Comment un circuit peut-il tolérer, en pleine connaissance de cause, les conséquences des bagarres sur la qualité de vie de certains de ses joueurs? N'y a-t-il pas là une abdication de responsabilités?

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Ces courriels, dévastateurs pour l'image de la LNH, ouvrent une fenêtre exceptionnelle sur les coulisses du pouvoir. Ils ont été obtenus par le réseau TSN dans le cadre de la poursuite d'anciens joueurs, qui reprochent au circuit sa gestion du dossier des commotions cérébrales.

Les affirmations de Daly et de Shanahan en 2011 démontrent que la LNH aurait pu en faire davantage pour lutter contre les bagarres. Mais ses dirigeants n'en avaient manifestement pas le goût.

Jusqu'en 2013, Gary Bettman a répété qu'elles servaient de «thermostat» dans un match, baissant la température si la chaleur devenait trop intense. Ceux qui croyaient que les arbitres étaient chargés de cette responsabilité ont sûrement été surpris!

Les courriels démontrent que le commissaire craignait la réaction de l'Association des joueurs (AJLNH) à l'idée d'éliminer les combats, puisqu'une catégorie de joueurs perdrait ainsi la chance «de gagner plus d'argent qu'en faisant n'importe quoi d'autre».

Pour un homme cartésien comme Bettman, l'argument est étonnant. L'AJLNH aurait conservé le même nombre de membres. Les bagarreurs auraient forcément été remplacés par des joueurs plus doués, jusque-là incapables de mériter un poste, et qui - ironiquement - perdaient eux-mêmes l'occasion de toucher un meilleur salaire. (Heureusement, cette transformation s'opère depuis deux ans.)

Le commissaire lance aussi une flèche à Donald Fehr, alors nouveau directeur de l'AJLNH, qui a longtemps occupé le même poste au baseball. Il lui reproche d'avoir, à cette époque, «protégé les utilisateurs de stéroïdes» au détriment de ce sport et de la vaste majorité des joueurs.

La relation entre Bettman et Fehr a été difficile durant le dernier lock-out. Mais les deux hommes ont fait la paix après le règlement du conflit, créant conjointement la Coupe du monde de hockey. On verra si leur relation sera touchée par cette révélation.

Un autre élément intéressant des courriels publiés par TSN est le refus de la LNH de donner l'exemple au monde du hockey afin de rendre le sport plus sécuritaire. Gary Meagher, vice-président senior aux communications, écrit en substance que cela n'a jamais fait partie du mandat du circuit.

Le commentaire est déconcertant. Étant au sommet de la pyramide du hockey, la LNH influence tous les niveaux de hockey. Impossible d'ignorer cette responsabilité.

Lorsqu'il était président de Hockey Canada, Bob Nicholson a longtemps attendu une initiative musclée de la LNH pour lutter contre les coups à la tête. Il était convaincu que cela aurait un effet d'entraînement. Fatigué d'attendre, il est passé à l'action et son organisme, avec courage, s'est doté d'une politique en ce sens.

Aujourd'hui, Nicholson est président des Oilers d'Edmonton. Il devrait raconter cet épisode aux autres grands patrons du circuit.

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Les bagarres sont une source de commotions cérébrales. Heureusement, leur nombre diminue. Mais elles font toujours partie de la LNH.

Chez le Canadien, des joueurs prometteurs comme Michael McCarron et Nathan Beaulieu ont laissé tomber les gants cette saison. Ce dernier a d'ailleurs encaissé un coup violent en se battant contre Nick Foligno, des Blue Jackets de Columbus, en décembre dernier. Tout cela est dangereux et inutile.

Avec une véritable volonté, la LNH aurait déjà interdit les bagarres. Et contrairement à des prédictions apocalyptiques, l'intérêt des fans n'aurait pas diminué. Après tout, les combats n'ont jamais été si peu nombreux et la valeur des concessions n'a jamais été si élevée.

Peu importe les suites de ce recours juridique, la LNH est déjà perdante. Et la crainte manifestée par Geoff Molson en 2011, révélée par mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot et Radio-Canada, s'est concrétisée. Devant un tribunal du Minnesota, la poursuite déposée par d'anciens joueurs produit déjà des effets.