Le 20 juillet dernier, sur son compte Twitter, Québecor a confirmé le dépôt de sa candidature à la LNH dans l'espoir de ramener les Nordiques à Québec. Pour se lancer dans pareille aventure, le géant des télécommunications était manifestement à l'aise avec le coût d'une nouvelle concession, soit 500 millions US. Ce jour-là, compte tenu du taux de change, ce montant équivalait à 650 millions CAN.

Au cours des semaines suivantes, le huard s'est déprécié face à la devise de l'Oncle Sam. À un tel point où, soudainement, ces 500 millions US ont pris une ampleur inattendue en dollars canadiens. Ainsi, si la LNH avait attribué une équipe à Québec avec un paiement exigible le 20 janvier dernier, soit exactement six mois après la déclaration d'intention de Québecor, la facture aurait été de 725 millions CAN !

Ce chiffre ahurissant a incité plusieurs observateurs à conclure que les chances de retour des Nordiques fondaient comme neige au soleil. Et qu'il fallait sans doute mieux oublier cette idée, la facture devenant trop salée.

Brian Mulroney, président du conseil d'administration de Québecor, a donné un poids immense à cette analyse lors d'une entrevue au FM 93, de Québec, la semaine dernière.

Tout en affirmant que le dossier avançait « tranquillement, pas vite », l'ancien premier ministre a précisé : « Vous savez qu'avec le dollar canadien, où il est, c'est un défi extraordinaire non seulement pour le Québec, mais pour tout le Canada vis-à-vis les États-Unis. Alors, il faut composer avec cette réalité. [...] Est-ce que ce sera pour demain matin ? Non, je pense que non. »

Deux jours plus tard, Pierre Dion a renchéri sur ce thème. « Nous sommes encore dans la course, nous avons une bonne relation avec la LNH », a-t-il dit. Mais le PDG de Québecor a aussi affirmé qu'il faudrait être « patient », expliquant cette prudence par la baisse de la valeur du huard.

Pourtant, si Québecor achetait les Nordiques aujourd'hui, elle débourserait le même prix qui ne l'effrayait pas l'été dernier, soit 650 millions CAN. 

À la clôture des marchés, jeudi, face à la devise américaine, le dollar canadien s'échangeait sensiblement au même coût que le 20 juillet 2015.

Ces chiffres rappellent à quel point le cours du huard fluctue. Au cours des dernières semaines, la hausse du prix du baril de pétrole l'a extirpé de son creux. Et la politique monétaire des États-Unis lui donne une impulsion additionnelle depuis quelques jours. Du coup, acheter 500 millions US coûte 75 millions CAN de moins qu'il y a deux mois.

Quelle sera la suite ? Bien malin qui peut le prédire. Une entente formelle entre les pays exportateurs de pétrole pour limiter leur production donnerait un coup de pouce au dollar canadien. En revanche, un désaccord aurait l'effet inverse.

Tout cela pour dire qu'en ce domaine, les certitudes sont peu nombreuses. Mais cela, Québecor, à l'image de toutes les grandes entreprises, le sait fort bien. Un coup d'oeil au graphique de l'évolution du taux de change au cours des 20 dernières années en fait l'éloquente démonstration.

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Il sera intéressant de voir si la récente poussée du dollar canadien modifiera l'analyse de MM. Mulroney et Dion. Croient-ils cette embellie uniquement passagère ? Retrouveront-ils plutôt l'optimisme qui les caractérisait en septembre dernier lorsqu'ils ont rencontré les dirigeants de la LNH à New York ? M. Mulroney avait alors déclaré : « Même avec le taux de change, nous pouvons soutenir une équipe. »

Évidemment, il est facile de comprendre qu'un taux de change beaucoup trop défavorable incite à reporter certains projets d'investissements. En revanche, on ne peut tout de même pas attendre que notre monnaie soit au pair pour passer à l'action.

L'achat d'une équipe de la LNH est un investissement à très long terme. Tout investisseur voudra le réaliser au plus bas coût possible. Mais il faut aussi foncer lorsque l'occasion se présente. 

Or, si Québec rate le rendez-vous actuel, une autre chance se présentera-t-elle dans un avenir pas trop lointain ?

Imaginons que seule la ville de Las Vegas soit choisie en juin prochain. Cela complétera ce cycle d'expansion. Si la LNH en lance un autre cycle dans deux ans, Québec aura sûrement d'autres concurrents féroces à affronter, comme Seattle ou une banlieue de Toronto. La partie serait loin d'être gagnée d'avance.

Un transfert d'équipe ? Possible, mais avouons que Gary Bettman a tout fait pour les empêcher au cours des dernières années. Il s'est rendu en Arizona et en Floride pour convaincre les élus d'investir des fonds publics en soutien des Coyotes et des Panthers. Pourquoi agirait-il autrement si, d'aventure, les Hurricanes de la Caroline lançaient un appel à l'aide ? Remplacer une ville des États-Unis par une autre du Canada ne fait sûrement pas partie de ses plans.

Bien sûr, les Thrashers d'Atlanta ont déménagé à Winnipeg en 2011. Mais la situation était différente, une querelle juridique opposait les propriétaires de l'équipe.

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Au baseball, l'impact du taux de change est moins prononcé pour les Blue Jays de Toronto, seule équipe canadienne des majeures. Je le rappelle parce que beaucoup d'incompréhension subsiste à ce sujet. Lorsqu'il est question d'un éventuel retour des Expos, bien des gens jugent l'affaire impossible en raison de la valeur du dollar canadien.

Mais contrairement aux équipes de la LNH, celles du baseball majeur se divisent des sommes considérables tirées des revenus nationaux en dollars américains (droits de télé, initiatives numériques, partage des revenus). Chaque équipe touche annuellement plus de 60 millions US grâce à ces programmes. Ce serait aussi le cas des néo-Expos.

Cela dit, pour les équipes de sport professionnel majeur établies au Canada, l'incertitude face à la valeur du dollar canadien demeurera toujours une source de préoccupation. C'est le prix à payer pour jouer dans la cour des grands.