Le bureau de Geoff Molson au Centre Bell n'a guère changé depuis ma dernière visite à l'automne 2011. Seul l'ajout d'impressionnantes figurines de joueurs légendaires du Canadien modifie le décor. À l'époque, La Presse l'avait déclaré personnalité la plus influente dans le sport au Québec, et j'étais venu l'interviewer à ce sujet.

Alors propriétaire du Canadien depuis deux ans, M. Molson donnait l'impression de prendre lentement ses marques dans l'univers coupe-gorge du sport professionnel. Et d'apprivoiser le secteur culturel, où evenko jouait déjà un rôle important.

L'image était trompeuse. Sous ses dehors tranquilles, M. Molson appuyait à fond sur l'accélérateur. Au point que, quatre ans plus tard, un constat s'impose: non seulement il a assuré son rayonnement sur le plan sportif, mais il est aussi devenu l'acteur le plus influent de l'industrie québécoise du spectacle.

À titre de propriétaire et de président de Groupe CH, l'entité sous laquelle les différentes composantes de l'entreprise sont réunies, M. Molson ne dirige pas uniquement le Canadien et le Centre Bell.

En dernière analyse, il se retrouve aussi aux commandes du Festival de jazz, d'Osheaga, des FrancoFolies, de Montréal en lumière et de happenings musicaux nichés comme Heavy Montréal et ÎleSoniq.

Son équipe, qui gère le Métropolis et le Théâtre Corona, sera aux commandes du futur amphithéâtre de Laval. Ce n'est pas tout: evenko a organisé le premier match de la LNH au Centre Vidéotron de Québec. Ce fut un véritable succès dont Québecor, avec raison, s'est servi pour étoffer sa présentation à la LNH, dans le dossier de l'expansion.

«Comment expliquer une croissance pareille, Geoff?

- Nous avons d'abord élaboré une vision pour l'équipe et toute l'entreprise, répond-il. Et nous avons adopté un plan stratégique pour atteindre nos objectifs. Chaque année, nous le renouvelons pour un cycle de trois ans. Nous sommes aussi patients. Ainsi, il nous a fallu au moins deux ans pour réaliser l'acquisition de L'Équipe Spectra.»

C'était en fin d'après-midi, mercredi. Au terme d'une journée remplie, où il a annoncé des investissements privés de 100 millions pour moderniser le Centre Bell, M. Molson soufflait un peu. À moins de 24 heures de l'ouverture de la saison locale, le moment était idéal pour discuter de sa gestion des dernières années.

En 2009, avec ses frères Andrew et Justin et un groupe de partenaires, il a versé 575 millions canadiens pour acquérir le Canadien, le Centre Bell et evenko. Aujourd'hui, les trois entités sont transformées.

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L'hiver dernier, une enquête de La Presse concluait que la marque du Canadien était la plus respectée parmi toutes les entreprises du Québec.

«L'équipe est beaucoup plus populaire qu'elle ne l'était à mon arrivée, dit M. Molson. C'est grâce à ses performances sur la patinoire et aux personnes qui la dirigent, comme Marc [Bergevin], Michel [Therrien] et tout le groupe. Nos joueurs sont aussi de bonnes personnes. Notre noyau est formé depuis plus de cinq ans. Ils sont devenus des hommes, c'est un plaisir de voir ça.»

Sur le plan publicitaire, le Canadien a fait siens des concepts modernes. «L'émission 24-CH nous a permis de partager la vie de l'équipe avec beaucoup de monde, qu'il s'agisse de fans finis ou occasionnels, explique M. Molson. Les jeunes, notamment, ont été contents de voir leurs idoles en dehors de la patinoire. Cela a élargi notre portée marketing. Nous avons aussi récupéré des amateurs de ma génération, ou des générations précédentes, qui avaient perdu leur passion pour le Canadien. Les partisans ont confiance en l'équipe, ils sont fiers d'être des fans.»

Le Canadien représente toujours la clé du succès financier de Groupe CH. Mais l'expansion d'evenko constitue une source essentielle de croissance.

«Lorsque notre groupe est devenu propriétaire, evenko était une entreprise qui produisait des spectacles au Centre Bell et le festival Osheaga, rappelle M. Molson. C'est devenu une entreprise qui produit 1200 événements par année. Aujourd'hui, evenko est sans doute l'une des entreprises événementielles les plus respectées en Amérique du Nord derrière les deux gros acteurs, Live Nation et AEG.»

M. Molson est évidemment fier du travail de l'équipe de Jacques Aubé, qui dirige evenko. Les résultats financiers de cette entreprise ont en effet une profonde influence sur le plan d'affaires de Groupe CH.

«Cette source de revenus doit être assez forte pour nous soutenir durant les périodes difficiles», explique M. Molson, citant des scénarios comme la faiblesse du huard ou un lock-out dans la LNH.

«C'est comme pour la Brasserie [Molson Coors], poursuit-il. Plus on prend de l'expansion internationale, plus notre performance financière est stable. Car de bons résultats dans un pays peuvent compenser de mauvais résultats dans un autre. C'est pourquoi je mets beaucoup de pression sur evenko afin de trouver d'autres sources de croissance.»

Cet accent mis sur le développement explique, par exemple, la tenue d'un match de l'Association nationale de basketball (NBA) chaque automne au Centre Bell, ou celle des deux matchs d'avant-saison des Blue Jays de Toronto au Stade olympique, depuis 2014. L'affaire sera encore un succès les 1er et 2 avril prochains puisque, à plus de cinq mois de l'événement, il reste à peine 17 000 billets à vendre pour l'affrontement du vendredi et 6000 pour celui du samedi.

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La construction du Centre Bell a été financée par des fonds privés, et Geoff Molson ne dérogera pas à cette règle pour moderniser l'amphithéâtre.

Les quartiers des joueurs ont été reconstruits durant l'été 2014; les 21 000 sièges ont été remplacés au cours des derniers mois; enfin, d'importants réaménagements des espaces publics seront réalisés au cours des prochaines années. L'ouverture de salons où les amateurs pourront manger et boire fera aussi croître les revenus.

Sur le plan immobilier, le quartier du Centre Bell est en pleine effervescence. Geoff Molson est d'ailleurs convaincu que la présence de l'amphithéâtre joue un rôle clé dans ce développement attendu depuis 1996, année de son ouverture. Étude de KPMG en main, il soutient que la demeure du Canadien est au coeur de ce boom qui pourrait à terme valoir à la Ville de Montréal des revenus fonciers de 70 millions annuellement.

À son avis, le Centre Bell est encore «solide» pour au moins 20 ans. Et son emplacement au coeur du centre-ville représente un atout formidable, un peu comme le Madison Square Garden à New York. Les propriétaires des Rangers ont d'ailleurs investi plus de 900 millions US en rénovations, plutôt que de quitter le coeur de Manhattan.

Cela dit, au-delà des améliorations structurelles au Centre Bell, M. Molson estime que les investissements en technologie sont les plus importants pour améliorer l'expérience client.

«Il faut donner à nos partisans un WiFi très rapide afin qu'ils puissent utiliser leur téléphone pour voir la reprise des buts, par exemple. Ça coûte cher, mais on se rendra le plus loin possible.»

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La manière dont Geoff Molson a réinventé le Groupe CH est impressionnante. Mais dans son bureau, où les artefacts de hockey sont nombreux, il manque un élément: une photo de Max Pacioretty brandissant la Coupe Stanley.

Car au bout du compte, si les actionnaires de l'équipe sont heureux de sa gestion, les fans, eux, ne rêvent qu'à la victoire finale. Le jour où cela se produira, le propriétaire et président du Canadien pourra véritablement dire: mission accomplie.