Joueur autonome à l'été 2007, Daniel Brière a accepté l'offre des Flyers de Philadelphie plutôt que celle du Canadien. La nouvelle a provoqué un choc à Montréal. La direction et les partisans espéraient que le dynamique attaquant rentre au Québec et contribue à la relance de l'équipe.

Des années plus tard, Brière a finalement endossé le maillot tricolore. Il était de ce beau groupe qui a atteint la demi-finale de la Coupe Stanley au printemps 2014. Rappelez-vous: à Boston, dans le septième match de la série contre les Bruins, il a mené la charge avec un but et une aide, malgré un temps de glace minuscule. Et le Canadien a remporté une étonnante victoire de 3-1.

«Au Québec, on apprend à haïr les Bruins à l'âge de deux ans et demi! lance Brière en riant. Les battre dans un match décisif des séries, avec le Canadien et dans leur Garden, représente un de mes plus beaux moments en carrière.»

Ce printemps-là, Brière n'était plus le joueur explosif du passé. Il demeurait néanmoins un leader, toujours prêt à aider les jeunes et affichant une attitude positive. Au point que cette question, à laquelle nous n'obtiendrons jamais de réponse, devient inévitable: quel aurait été l'impact sur sa carrière et sur le Canadien s'il avait accepté l'offre de Bob Gainey en 2007?

Tenez, le mois dernier, Brière a annoncé sa retraite du hockey. La nouvelle a fait le tour du Québec. Mais elle aurait touché davantage les amateurs s'il avait été membre du CH durant plusieurs saisons.

« - Tu n'as jamais éprouvé de regrets, Daniel?

- Non, répond-il sans hésitation. Je ne suis pas une personne qui regarde derrière ou repense à ses choix. Une fois que j'ai tranché, je fonce.

«J'ai vécu des choses superbes à Philadelphie. Mes enfants ont grandi là-bas et nous y habitons toujours. Ma relation avec l'organisation des Flyers demeure excellente. Je ne peux rien regretter. Cela dit, je me sens très chanceux d'avoir expérimenté plus tard la chance de jouer avec le Canadien.»

C'est à Montréal que Brière a découvert d'autres aspects du hockey, comme la promotion et la commercialisation. Ses échanges avec le vice-président aux communications du Canadien, Donald Beauchamp, et son adjoint Dominick Saillant étaient nombreux.

«Ils m'ont beaucoup appris, dit-il. Un jour, par exemple, ils discutaient de la manière de souligner la médaille d'or de l'équipe canadienne de hockey féminin aux Jeux de Sotchi. Comment accueillir les joueuses et les présenter à la foule?

«C'était très différent de mes meetings habituels de hockey, où on parle de l'avantage numérique et de l'échec avant! J'ai trouvé ça très intéressant. Donald et Dominick m'ont donné la chance d'avoir un pouls pour ce volet du hockey professionnel.»

Aujourd'hui, ce sont les Flyers qui ouvrent les portes de leurs bureaux à Brière. Il n'occupe pas de rôle officiel et ne reçoit pas de rémunération. Mais s'il veut apprendre, il est le bienvenu aux réunions.

***

J'ai rencontré Brière à la station 98,5 FM, à Montréal. Le mercredi, il commente l'actualité sportive aux Amateurs de sport, l'émission de Mario Langlois à laquelle je contribue aussi.

Brière n'est ni grand ni costaud. En lui serrant la main, on se demande comment il a pu survivre si longtemps dans la LNH. Son visage de gamin, auquel un sourire semble accroché à demeure, ne porte pas les traces des nombreux coups reçus. Il a pourtant marqué l'immense majorité de ses buts près du filet adverse, là où ça fait mal.

«Depuis les rangs pee-wee, j'ai toujours été le plus petit, explique-t-il. Alors j'ai appris très jeune à me défendre. Dans la Ligue nationale, je n'ai pas été un joueur salaud. Mais j'avais un hockey entre les mains. Je ne m'en cache pas, je m'en suis servi.

«J'ai parfois traversé la ligne en donnant un coup derrière les genoux ou dans le ventre. Mais c'était une façon de me faire respecter. Et je ne m'en prenais jamais à un adversaire sans avoir d'abord été attaqué illégalement. Souvent, de gros joueurs étaient timides face aux gars de leur taille, mais très robustes devant quelqu'un comme moi... Au fil du temps, mes messages ont passé. Et ça explique en grande partie ma survie.»

Brière l'avoue: en quittant les rangs juniors, il n'aurait jamais pensé franchir le cap des 1000 matchs et des 800 points, séries éliminatoires comprises. Pas plus qu'il n'aurait imaginé signer une entente de 52 millions US pour huit ans.

À l'époque, il croyait demeurer avec les Sabres de Buffalo. Mais l'organisation a tardé avant de lui donner signe de vie. Alors aussi bien attendre les propositions des autres équipes le 1er juillet.

«J'ai compris une dizaine de jours plus tôt que je quitterais Buffalo, dit-il. Je croyais pourtant demeurer un Sabres jusqu'à la fin de ma carrière.»

Le numéro 48 pensait obtenir un contrat d'une valeur maximale de 30 millions. Il a plutôt fait sauter la banque. À l'ouverture du marché, il était dans les bureaux de son agent Pat Brissson, à Los Angeles. «On avait fait un bon travail préparatoire, établissant une liste des pour et des contre pour chaque équipe susceptible de prendre contact avec moi», raconte Brière.

«Lorsque les offres sont tombées, elles étaient plus élevées les unes que les autres. J'ai alors compris que le dossier argent était réglé. Et j'ai choisi les Flyers parce qu'à mon avis, avec la direction, les joueurs en place et ceux qui s'ajouteraient, c'était le meilleur endroit pour réussir.»

Brière a participé à la formidable chevauchée des Flyers lors des séries éliminatoires de 2010, consolidant ainsi sa réputation de joueur clé sous pression. «On s'est qualifiés pour les séries au dernier match du calendrier, en battant les Rangers en tirs de barrage. On a ensuite éliminé les Devils en cinq matchs, même si personne ne nous croyait capables de réussir le coup.

«En deuxième ronde, les Bruins ont pris une avance de trois matchs à zéro. Mais on a remporté les trois rencontres suivantes! Le septième match était à Boston. Après 10 minutes de jeu, on perdait 3-0. On a marqué un but chanceux en fin de première période. Mais dans le vestiaire, on était choqués de s'être placés dans cette position. Avec le recul, je réalise combien les Bruins devaient être mal à l'aise. Allaient-ils laisser filer une autre avance? En deuxième période, on les a mangés. Et on a finalement gagné le match grâce au but vainqueur de Simon Gagné.

«Puis, en finale de conférence, on a affronté le Canadien. C'était toute une expérience pour notre gang de Québécois...»

Les Flyers ont expédié le CH en cinq matchs, remportant d'entrée de jeu des victoires de 6-0 et 3-0. Mais ils ont perdu la finale de la Coupe Stanley contre les Blackhawks de Chicago. «Ces deux mois-là ont été incroyables!», dit Brière, qui a récolté 30 points en 23 matchs durant ce beau printemps.

***

Brière aborde la prochaine étape de sa vie avec enthousiasme. Sa compagne est médecin dans l'aviation américaine, Misha Harrell, qu'il a rencontrée grâce à des amis à Philadelphie. Elle mène une carrière active, ayant même servi sept mois en Afghanistan.

«Jouer au hockey a été ma passion, explique Brière. Mais j'ai toujours eu hâte d'aborder la prochaine étape de ma vie. J'espère rester dans le monde du hockey, mais je n'aurai plus besoin de me battre tous les jours sur la patinoire. Les deux ou trois dernières années, ça a commencé à me rattraper physiquement. J'ai 37 ans. J'ignore où j'en serai à 40 ou 45 ans, mais je suis excité à l'idée de m'attaquer à de nouveaux défis.»

Brière aurait pu étirer sa carrière, dans la LNH ou en Europe. Il a préféré demeurer avec ses trois fils adolescents à Philadelphie. «J'ai été loin de mes enfants au cours des deux dernières années», dit-il, en évoquant ses séjours avec le Canadien et l'Avalanche du Colorado. «La priorité, c'est vraiment eux. Tout va super bien, mais c'est important d'être présent.»

Notre entretien tire à sa fin. Brière doit se rendre en studio. Tout juste le temps d'une dernière question.

« - De quoi es-tu le plus fier dans ta carrière, Daniel?

- D'avoir été capable, pour un petit joueur, de faire une différence en séries éliminatoires. Et d'avoir survécu aussi longtemps.»

Brière n'a jamais remporté la Coupe Stanley, son but ultime. Mais il a laissé sa marque dans la LNH. Par son talent, bien sûr, mais aussi sa gentilhommerie.