Savais-tu, Max, que les responsabilités du premier capitaine de l'histoire du Canadien étaient immenses? Il s'appelait Jean-Baptiste Laviolette, mais tout le monde le surnommait Jack.

En décembre 1909, lors de la création de l'équipe, Laviolette a aussi été nommé directeur général et entraîneur. (Mieux vaudrait, Max, ne pas en parler à Marc et Michel, ils se demanderaient peut-être où tu veux en venir exactement!)

Réunis à l'Hôtel Windsor, alors une adresse prestigieuse du centre-ville, les promoteurs de la toute nouvelle Association nationale de hockey voulaient un club représentant les francophones du Québec. Selon le quotidien La Patrie, Laviolette demanda «la prérogative d'engager les Canadiens français dont il aurait besoin, sans aucune opposition». L'autorisation fut accordée sur-le-champ.

Eh oui, Max, c'est ainsi que tout a commencé! Le Canadien existait depuis à peine une heure qu'il était déjà le porte-étendard des francophones. Et le hasard a voulu que son premier leader porte le nom du saint patron des Canadiens français, comme on disait autrefois.

Crois-moi, Max: tu ne deviens pas le capitaine d'une simple équipe de hockey. Mais plutôt d'une institution dont les racines sont trempées dans notre histoire. Je crois que tu l'as bien compris, comme l'a démontré ton utilisation du français le jour où la nouvelle a été annoncée.

Je t'encourage à poursuivre dans cette voie. En signe d'amitié pour le Québec, bien sûr, mais aussi pour que ton héritage soit célébré de tous le jour où cette belle aventure prendra fin.

Tu sais, Saku Koivu a porté le «C» durant dix saisons, aussi longtemps que Jean Béliveau. Ce n'est pas rien, tout de même! Mais il ne s'est jamais exprimé dans notre langue nationale. Ce manque de sensibilité lui collera toujours à la peau, malgré la dignité avec laquelle il a assumé ses responsabilités.

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Quel genre de capitaine seras-tu, Max?

Tu es le troisième Américain à recevoir cet honneur. Je te souhaite un plus long parcours que celui de Chris Chelios (cocapitaine durant une saison) et plus significatif que celui de Brian Gionta.

Tu es aussi le premier ailier gauche depuis Bob Gainey à assumer ce rôle. Intéressant, puisqu'à un certain niveau, tu me rappelles l'ancien numéro 23.

Lorsque Gainey a obtenu le «C», son CV était plus riche que le tien. Mais comme lui, tu t'exprimes d'un ton posé et réfléchi. Comme lui, tu saisis l'importance de parler français. Comme lui, tu joues souvent malgré la douleur. Et comme lui, tu profites du respect de tes coéquipiers. Il te reste maintenant à rallier les troupes au moment opportun, comme il le faisait si bien.

L'appui de ta candidature par Élise Béliveau a représenté un vote de confiance à ton endroit. Savais-tu, Max, que le grand Jean était également blessé le jour où il reçut le «C»?

À la demande de l'entraîneur Toe Blake, Béliveau avait participé à un match présaison en Colombie-Britannique afin de ne pas décevoir le public. Mais affaibli par la grippe, il fut incapable d'éviter une collision de routine. Il subit une déchirure ligamentaire au genou et rata 27 matchs.

C'est durant sa convalescence que ses coéquipiers l'élurent capitaine. Et malgré le résultat serré - un deuxième tour fut nécessaire -, Béliveau profita d'une pleine légitimité. Parce qu'il était le choix de ses pairs et non pas de ses patrons.

Voilà pourquoi je suis content que Marc Bergevin et Michel Therrien vous aient confié, à toi et tes coéquipiers, la responsabilité d'identifier votre leader. Tu feras le pont entre les dirigeants et les joueurs, mais en n'oubliant jamais lesquels t'ont donné ton mandat.

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As-tu frémi, Max, en jetant un coup d'oeil à l'impressionnante liste de tes prédécesseurs?

Maurice Richard, Jean Béliveau, Bob Gainey, Émile Bouchard, Henri Richard, Yvan Cournoyer, Serge Savard, Guy Carbonneau... Ces grands joueurs ont tous brandi la Coupe Stanley avec un «C» sur leur chandail.

Pour inscrire ton nom dans la légende, tu devras les imiter. Je sais, la concurrence est vive dans la LNH et une douzaine d'équipes entretiennent l'espoir légitime de conquérir le fameux trophée chaque saison.

Mais comme tu t'en doutes bien, Max, après 23 années d'attente, les Montréalais ont hâte à une grande victoire de leur club favori. Il ne faudrait tout de même pas que d'éventuels néo-Nordiques relèvent le défi avant le Canadien de ta génération!

Accomplir cet exploit à ta saison initiale comme capitaine serait remarquable. D'autant plus qu'on célèbre cette saison le centenaire de la première Coupe Stanley du Canadien.

C'est en 1915-1916 que le Bleu-Blanc-Rouge a remporté son premier championnat du monde, pour reprendre l'expression des journaux de l'époque. Le capitaine s'appelait Howard McNamara. Lui aussi avait été nommé au début de la saison, une nouvelle qui passa inaperçue. Les quotidiens s'intéressaient surtout au joueur-entraîneur Édouard «Newsy» Lalonde et au gardien Georges Vézina.

Le dernier match terminé, McNamara voulut conserver la rondelle de cette victoire historique. Lalonde aussi. Mais l'arbitre refusa de la leur remettre, gardant pour lui ce souvenir. Il promit simplement de la «prêter» à Newsy, selon le journal Le Canada. Chiche, quand même... McNamara fut ensuite appelé sous les drapeaux en raison de la Première Guerre mondiale. En 1919-1920, il retrouva un court moment sa place dans la formation.

Les temps ont bien changé, Max. Mais une vérité demeure: de Jean-Baptiste «Jack» Laviolette à toi, être le capitaine du Canadien représente un privilège. Savoure bien le moment. Et sache que des centaines de milliers de partisans rêvent que tu brandisses à ton tour la Coupe, un «C» cousu sur ton chandail numéro 67.