Viktor Tikhonov, mort hier à l'âge de 84 ans, était une légende du hockey. Derrière le banc de la sélection nationale soviétique, il a collectionné les médailles d'or. Ses équipes rapides et électrisantes ont profondément influencé le sport.

Ça, c'est le beau côté de la médaille. Son revers est moins joli. Car Tikhonov a sans doute été l'entraîneur le plus détesté du hockey par ses propres joueurs. Ses pouvoirs étaient ceux d'un tsar, maître de la destinée de ses troupes.

En Amérique, durant les années de gloire de son équipe, le bruit courait que Tikhonov était implacable. Qu'il traitait ses athlètes rudement. Ce n'étaient pas des ragots visant à ternir son image. Lorsque le régime soviétique s'est libéralisé sous le leadership de Mikhaïl Gorbatchev, la preuve est tombée.

À l'époque, les médias russes découvraient un espace de liberté en raison de la glasnost, ce concept d'ouverture et de transparence défendu par Gorbatchev. Des textes critiques envers les institutions du pays avaient été publiés.

À l'hiver 1988, Igor Larionov a déclaré au magazine Ogonyok que Tikhonov créait un climat de peur au sein de l'équipe. Quelques mois plus tard, Irina Starikova, l'épouse de Sergei Starikov, un défenseur de l'équipe de l'Armée rouge, a dressé dans Sovietskaya Kultura un portrait renversant de la vie au sein de ce club dirigé par Tikhonov.

L'entraîneur, disait-elle, avait défendu à son mari de quitter l'équipe pour visiter son nouveau-né, entre la vie et la mort après un accouchement éprouvant. «Tu n'es pas médecin et tu n'y peux rien», lui avait-il dit.

Tikhonov limitait les visites des joueurs à leur famille. Irina Starikova évoquait son «contrôle totalitaire», indiquant qu'un joueur avait eu la permission de dormir à la maison à peine 13 fois en 10 mois. S'adressant à Tikhonov, elle ajoutait que la vie d'une épouse de joueur était intenable.

«Le simple fait d'assister à un match est difficile pour nous. C'est une expérience humiliante; après la rencontre, nous devons supplier les gardes pour avoir le droit de saluer nos maris avant qu'ils embarquent dans l'autobus. Parfois, nous réussissons, parfois, non. Cela dépend de vos instructions. Je sais que vous adorez le hockey, mais avez-vous autre chose que la glace dans votre coeur?»

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Pendant ce temps, les matchs entre les équipes russes et nord-américaines se multipliaient. Résultat, les Soviétiques prenaient de plus en plus conscience de la différence entre leur statut et celui de leurs adversaires. Plusieurs d'entre eux rêvaient d'évoluer dans la LNH, ce qui déplaisait profondément à Tikhonov.

Le grand Viatcheslav Fetisov était un de ceux-là. Tikhonov lui a rendu la vie misérable lorsqu'il a compris que son joueur étoile voulait s'aligner avec les Devils du New Jersey.

Dans un récent documentaire sur l'équipe de l'Armée rouge, Fetisov compare son ancien entraîneur à Staline. «Il nous voit comme des marionnettes, devant danser à ses coups de sifflet pour le reste de nos vies. C'est de la dictature», lit-on dans le New York Times.

En se battant pour ses droits et en faisait preuve d'un courage peu commun, Fetisov a obtenu la permission de venir en Amérique. En septembre 1989, mon collègue Richard Hétu l'a rencontré au camp d'entraînement des Devils.

Quelques mois plus tôt, Tikhonov avait voulu punir Fetisov d'entretenir l'espoir de mener une vie différente. «Si je suis le seul à décider, Fetisov ne jouera pas au Championnat du monde, avait-il dit. Un athlète qui cesse l'entraînement, qui passe son temps à philosopher et qui s'exprime dans les médias est un athlète fini.»

Comme Richard l'a constaté, Fetisov éprouvait du mépris pour Tikhonov. «Sur le plan humain, c'est cruel d'obliger des hommes à passer 11 mois sur 12 dans un complexe d'entraînement, lui dit-il. Et sur le plan du hockey, je ne vois pas ce que ça peut donner. À mon avis, c'est une stupidité.»

Larionov a gagné aussi l'Amérique du Nord, signant un contrat avec les Canucks de Vancouver. En décembre 1989, lors d'une visite du Canadien dans l'ouest du pays, je lui ai parlé: «Le plus dur sera de retourner en Union soviétique durant l'été, avait-il dit. Ici, je n'ai pas de problèmes. Là-bas, j'en ai beaucoup.»

Le Finlandais Jyrki Lumme, qui jouait alors avec le Canadien mais qui bientôt irait rejoindre Larionov avec les Canucks, avait disputé des matchs en URSS plus tôt dans sa carrière. «Ça ne doit pas être agréable de jouer pour l'Armée rouge. La discipline est rigoureuse, de style militaire», disait-il.

En URSS, la glasnost ne touchait pas l'armée et le hockey. Au plus fort des démêlés entre Tikhonov et Fetisov, un haut placé de la Fédération soviétique de hockey a déclaré: «Si on lui permettait de démissionner pour aller jouer aux États-Unis, que pourrait-on dire à un officier d'une unité blindée qui voudrait lui aussi remettre sa démission pour aller vivre aux États-Unis?»

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Le nom de Viktor Tikhonov fait partie de l'histoire du sport. Ses succès sont considérables, mais une astérisque figurera toujours à côté de son nom. Son flair lui était utile au hockey, mais ne lui a pas permis de comprendre l'irréversibilité des changements en URSS sous Mikhail Gorbatchev.

En juin 1997, les Red Wings de Detroit ont remporté la Coupe Stanley. J'étais à Detroit lorsque Larionov et Fetisov, qui s'alignaient pour les Red Wings, ont hissé le trophée. Je n'oublierai jamais leur joie. «C'est le plus beau jour de ma vie», avait dit Larionov.

Fetisov avait ajouté: «Peu de gens pensaient que je gagnerais un jour la Coupe Stanley. Mais je n'ai jamais cessé d'y croire».

Malgré Viktor Tikhonov, aurait-il pu ajouter.