En douze petits mots, Marc Bergevin résume parfaitement son métier: «Moi, je gère une équipe de hockey et aussi une masse salariale».

L'époque où les DG des équipes les plus riches de la LNH consacraient toutes leurs énergies à évaluer le talent est révolue. Aujourd'hui, ils ont aussi les yeux sur le plafond salarial, ce frein artificiel à leur pouvoir de dépenser, établi afin d'équilibrer la compétition.

C'est sous cet angle qu'il faut analyser la transaction d'hier, qui a amené Sergei Gonchar à Montréal en retour de Travis Moen. Le vétéran défenseur débarque chez le Canadien avec un seul véritable atout en poche: son contrat se termine cette saison, ce qui n'est pas le cas de celui de Moen.

Pour Bergevin, il s'agit de l'unique certitude de cette transaction. Et du principal motif de sa décision.

Avec un peu de chance, Gonchar rendra peut-être service à l'équipe. Mais l'important pour le DG était de dégager une marge de manoeuvre en prévision de l'été prochain, lorsque les contrats d'Alex Galchenyuk et Brendan Gallagher arriveront à échéance.

La chute du dollar canadien favorise les exportations canadiennes. En revanche, comme l'explique mon collègue Marc Antoine Godin ailleurs dans ce numéro, elle pourrait entraîner une stabilisation du plafond salarial à 69 millions US en 2015-2016. Ce serait une mauvaise nouvelle pour les organisations flirtant déjà avec ce chiffre, dont le Canadien.

La priorité de Bergevin n'était donc pas d'obtenir Gonchar, mais de se départir de Moen. Tout simplement en raison de la durée de son contrat. C'est aussi pourquoi il espérait que Rene Bourque serait réclamé au ballottage. Mais aucune équipe n'a mordu.

Cela dit, pour vous donner une idée des attentes de Bergevin à l'endroit de Gonchar, voici sa remarque à son propos, hier: «Sergei n'est pas le joueur qu'il était. Il est rendu à 40 ans.»

Ça veut tout dire.

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Sur le plan du hockey, l'arrivée de Gonchar envoie néanmoins un signal à Jarred Tinordi et Nathan Beaulieu: les gars, prenez-vous en main avant que l'organisation ne s'impatiente!

Pour ces deux jeunes, l'arrivée de Gonchar n'est pas une bonne nouvelle. Michel Therrien lui donnera assurément sa chance, et ce sera à leur détriment. La direction du CH espère qu'ils saisiront le message.

Hier, pour la première fois, Bergevin a resserré son discours à leur endroit. À ses propos habituels sur «les jeunes défenseurs à qui il faut laisser le temps de progresser», il a ajouté ceci: «Ils font toujours partie de notre avenir. Mais ils doivent être meilleurs. Et ils le savent.»

En clair, Bergevin n'a pas perdu confiance en eux, loin de là. Mais il souhaite une progression plus soutenue. Le départ de Josh Gorges leur a ouvert une immense porte, mais ils demeurent incapables de la franchir.

D'autre part, Bergevin reste fidèle à son principe: une équipe n'a jamais trop de défenseurs. Les blessures sont inévitables au fil d'une longue saison.

Rappelez-vous février 2011: décimé à la ligne bleue, le Canadien est allé rechercher, en désespoir de cause, Paul Mara, des Ducks d'Anaheim. Les réserves étaient vraiment à sec! Ça ne se produira pas sous le régime Bergevin.

Mine de rien, le DG du Canadien a aussi révélé une partie de l'opinion qu'il a de l'équipe à son entrée en poste en juin 2012.

Expliquant pourquoi il avait alors accordé un contrat de quatre ans à Travis Moen, une décision malheureuse, il a dit : «À mon arrivée, Travis était un des seuls joueurs avec un gabarit. Et à l'époque, on n'avait pas encore mis la main sur Brendan Prust.»

Bref, le Canadien ne comptait pas suffisamment de gros joueurs pour s'imposer de match en match.

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Le Canadien, malgré une attaque décevante, connaît un excellent début de saison. Et l'ambiance est bonne autour de l'équipe.

Un exemple: en se présentant dans la salle de presse, hier, Bergevin a d'abord fait mine de s'asseoir avec les journalistes. Ce clin d'oeil illustre son état d'esprit. Car sachez une chose: les difficultés des siens à marquer des buts ne l'inquiètent pas. «Je crois fermement que tout commence avec le gardien de but, dit-il. Et avec Carey, on est en très bonne position. Il faut améliorer l'ensemble de notre jeu défensif.

«En séries, les matchs sont souvent de 2-1 ou 3-2. L'important pour moi, ce n'est pas de s'efforcer de marquer plus de buts, mais d'en empêcher. Et ça, c'est un travail d'équipe. Il faut un engagement de tous.»

La constance du message de Bergevin est remarquable. À sa troisième saison à la barre, il reste fidèle à ses principes. La ligne directrice est claire, à la fois pour les entraîneurs et les joueurs. L'organisation respecte un plan, ce qui ne l'empêche pas d'être active.

Mine de rien, onze membres de l'équipe qui a atteint la dernière demi-finale de la Coupe Stanley sont partis: Brian Gionta, Josh Gorges, Thomas Vanek, Douglas Murray, Ryan White, Rene Bourque, Francis Bouillon, Daniel Brière, Travis Moen, Peter Budaj et George Parros. Onze, ce n'est pas rien, tout de même!

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La saison dernière, le Canadien a réussi un gros coup en obtenant Vanek à la date limite des transactions. L'arrivée de Gonchar réduit la possibilité d'un autre gros coup, le Canadien assumant presque tout son salaire de 5 millions. Mais si Bergevin flaire une occasion, il trouvera peut-être le moyen de réussir le coup. Dans les échanges d'Erik Cole, en 2013, et de Travis Moen, hier, il a montré son habileté à gérer la masse salariale.