Été 2007. Les partisans des Bruins sont en colère. L'équipe n'a pas participé aux séries éliminatoires depuis deux ans. Pis encore: l'organisation semble incapable de s'adapter à la nouvelle réalité de la LNH.

Depuis le lock-out de 2004-2005, le circuit s'est transformé. L'implantation du plafond salarial a modifié les paramètres de gestion. Et les changements aux règlements ont conduit à du jeu plus rapide. Mais les Bruins, propriété de la famille Jacobs depuis 1975, peinent à trouver leurs marques. Au TD Garden, les assistances déclinent.

Dans l'espoir de se tirer du pétrin, l'équipe a embauché l'année précédente un jeune directeur général, Peter Chiarelli. Et celui-ci vient de choisir un entraîneur aguerri, Claude Julien. Mais pour redonner confiance aux fans, il faut aussi un homme qui incarne la tradition des Bruins, un joueur qui s'est battu férocement pour l'honneur du chandail jaune et noir.

Cette force de la nature, c'est Cam Neely. En septembre, l'ancien numéro 8 est nommé vice-président des Bruins. Il conseillera Chiarelli et apprendra les rudiments de la business du hockey.

À Boston, la décision est accueillie avec joie. Personne n'a oublié les trois saisons de 50 buts de Neely, ni ses mises en échec qui retentissaient aux quatre coins du vieux Garden. Il jouit d'un respect immense, à la manière d'un Guy Lafleur à Montréal. Si quelqu'un peut injecter une dose d'adrénaline aux Bruins, c'est bien lui.

Sur la glace, la carrière de Neely a pris fin en 1996. Il n'avait que 31 ans. Une blessure au genou et un problème chronique à la hanche ont brisé son rêve de remporter la Coupe Stanley. Deux fois, il a participé à la finale; deux fois, les Bruins ont été vaincus par les Oilers d'Edmonton.

«Je me suis marié en août 1996, dit-il. Un mois plus tard, on m'a annoncé que je ne pouvais plus jouer au hockey. Ç'a été très dur à accepter. J'étais vraiment mécontent d'abandonner ma carrière. Et j'ignorais ce que j'allais faire du reste de ma vie. J'ai passé beaucoup de temps avec ma femme, sans doute plus qu'elle ne l'avait imaginé!»

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Cam Neely est assis dans les gradins du Centre Bell. Nous sommes jeudi, quelques heures avant le quatrième match de la série entre les Bruins et le Canadien.

C'est la première fois que je lui parle en près de vingt ans. À l'époque, il comptait parmi les joueurs les plus intéressants de la LNH. Maintenant président des Bruins, il demeure un interlocuteur de premier plan.

Lorsqu'il portait le chandail des Bruins, Neely, avec son frère et ses soeurs, a créé une fondation à la mémoire de ses parents, morts du cancer. Les fonds recueillis soutiennent encore aujourd'hui les familles des patients.

«Ma carrière terminée, je me suis impliqué davantage dans ma fondation, dit-il. Ça m'a donné un endroit où aller travailler le matin. Trois ans plus tard, je me suis associé à une jeune entreprise technologique. Ce fut une excellente expérience. J'ai appris à gérer les aspects financiers, à surveiller les dépenses, à créer des liens d'affaires... Je me suis intéressé à l'ensemble des opérations.»

Pour Neely, il n'était pas question de faire uniquement de la figuration. «Je suis le genre de gars qui embarque à fond ou qui n'embarque pas du tout...», dit-il, sans surprise. Ceux qui l'ont vu foncer dans les coins de patinoire savent qu'il a mené sa carrière selon le même principe.

Après quelques années dans le secteur privé, Neely a été sollicité par le réseau NESN, diffuseur des matchs des Bruins. Un rôle d'analyste lui a été proposé. «Je ne pensais pas que c'était vraiment un poste pour moi, mais j'ai décidé d'essayer une saison. Et j'ai réalisé que mon intuition était la bonne. Sauf que ce rôle m'a retrempé dans le monde du hockey...»

Neely ne s'en cache pas. La rupture avec son sport à un si jeune âge lui avait causé une peine profonde. Il devait laisser du temps au temps avant de retrouver le chemin des amphithéâtres. La plaie a été longue à cicatriser. «Je suis retourné au hockey à un âge où, de toute façon, je n'aurais plus été en mesure de jouer. Cela a facilité les choses.»

Durant son année comme analyste, Neely a rencontré des clients de l'équipe - des locataires de loges d'entreprise, par exemple - à la demande de Charles Jacobs, le fils du propriétaire des Bruins. Son père lui avait confié la responsabilité de l'organisation.

«Les gens me posaient beaucoup de questions sur les Bruins, mais je n'avais guère d'informations à leur donner, dit-il. Je ne m'occupais pas de la gestion de l'équipe. Mais je comprenais leur désir de savoir. C'était important pour eux et je l'ai dit à Charlie. Quelques mois plus tard, Peter Chiarelli et lui m'ont demandé si j'avais le goût de me joindre à l'organisation à plein temps.»

Neely n'a pas bondi sur l'occasion. Il a réfléchi avant d'accepter ce poste de vice-président. Quelle serait sa relation avec les propriétaires? Avec Chiarelli? Et, plus simplement, aimerait-il ce boulot? Lorsqu'il a dit oui aux Bruins, il a précisé une chose: «Je m'engage pour un an, on verra ensuite...»

Dès son entrée en poste, Neely a discuté des décisions hockey avec Chiarelli et participé aux réunions du secteur affaires: billets, commandites, marketing, finances... «J'ai plongé dans tous les aspects de l'organisation. Et j'ai beaucoup aimé ça, plus que je ne le croyais... Dès le début de la saison, je me suis senti énergisé. J'étais heureux de repartir à la conquête de la Coupe Stanley.»

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En juin 2010, après que les Bruins eurent bousillé une avance de trois matchs à zéro et perdu leur série contre les Flyers de Philadelphie, Jeremy et Charles Jacobs ont offert à Neely la présidence de l'équipe, vacante depuis le départ du légendaire Harry Sinden en 2006.

«Je ne m'attendais pas à ça, dit-il. Sans être un choc énorme, ce n'était pas non plus quelque chose que j'avais envisagé. Cela dit, devenir président d'une équipe avec une si grande histoire a été un honneur immense. Mais beaucoup de responsabilités se sont greffées à cet honneur.»

Du coup, Neely est devenu le patron de Chiarelli, un de ceux qui lui avaient demandé de revenir dans l'organisation trois ans plus tôt. Cela a créé une situation bizarre, un peu inconfortable. Mais les deux hommes ont vite trouvé le moyen de travailler main dans la main. Et un an plus tard, les Bruins ont remporté la Coupe Stanley, leur première depuis 1972.

«J'étais excité pour nos fans, raconte Neely. Ils sont si passionnés. Et ils ont attendu longtemps cette Coupe. J'étais heureux aussi pour nos joueurs et tous les membres de l'organisation. Moi? J'aurais mieux aimé en gagner une comme joueur. Mais si tu ne réussis pas avec un équipement de hockey sur le dos, aussi bien le faire en habit!»

Cam Neely demeurera toujours un joueur dans l'âme. Cela se voit lorsque la caméra est braquée sur lui à la fin d'un match serré. Les traits crispés, il est entièrement habité par le match. Personne n'ose le déranger! Le président des Bruins sait très bien l'image qu'il dégage dans ces circonstances. J'aborde à peine le sujet avec lui qu'il éclate de rire.

«Je me le suis dit mille fois: «Cam, relaxe...» Mais c'est très difficile. Je deviens excité, choqué, frustré, angoissé... Tout ça en cinq minutes! Demeurer calme est beaucoup plus difficile que je ne le pensais. Et je ne réussis pas aussi bien que je l'aimerais. En fait, j'ai presque cessé d'essayer...»

Si Neely réagit ainsi, c'est parce qu'un sentiment l'a toujours animé: «Je déteste perdre plus que j'aime gagner. J'ai toujours été comme ça. Je pense que c'est ce qui m'anime. Je suis ainsi au Scrabble et au ping-pong! Mon père, un mécanicien dans l'aviation canadienne, était assez compétitif...»

Cam Neely n'a jamais suivi de cours de gestion. Mais il relève avec succès les défis liés à la présidence d'une entreprise dotée d'un immense retentissement public. Tous les jours ou presque, il s'entretient avec Jeremy Jacobs qui, à 74 ans, demeure un des hommes forts de la LNH. «Comme joueur, je ne connaissais pas son énorme passion pour le hockey et l'équipe. Ç'a été bien de découvrir cela.»

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Les faits parlent d'eux-mêmes. Depuis le retour de Cam Neely au sein de l'organisation, les Bruins composent une des meilleures équipes de la LNH. Ce n'est pas un hasard. Sa fougue est contagieuse.

Aujourd'hui, comme à l'époque où il faisait la loi sur la patinoire, Cam Neely est le coeur des Bruins.