L'hiver a officiellement pris fin à 19h9, hier. Un interminable hiver de dix ans, pour reprendre l'expression de l'analyste Marc Griffin, durant lequel nous avons été privés de baseball majeur.

C'est à ce moment que Marc Buehrle, des Blue Jays, a effectué le premier lancer à Montréal depuis le 29 septembre 2004. Bien sûr, ce n'était qu'un match préparatoire entre des équipes de Toronto et de New York, mais sur le plan symbolique, la signification était plus profonde. Nous avons assisté à la réconciliation des Québécois avec le sport national des Américains.

Lorsqu'on pense à la lente agonie des Expos, aux espoirs brisés et aux coups fourrés qui ont conduit à leur transfert à Washington, il est franchement exceptionnel que 46 000 personnes se soient déplacées pour ce match. Et qu'une foule encore plus importante soit attendue aujourd'hui.

L'hommage d'hier à Gary Carter, et celui de cet après-midi aux Expos de 1994, expliquent en partie ce succès. Tout comme la nostalgie d'une époque révolue. Mais cela ne représente qu'une partie de l'équation. Pour justifier pareil engouement, les racines du baseball au Québec sont manifestement très profondes. Plus qu'on ne l'aurait pensé.

Imaginez: les gens avaient tellement soif de baseball qu'ils se sont rangés avec entrain derrière une équipe de... Toronto! Comme une façon de dire merci aux Blue Jays, sans qui le Stade olympique serait demeuré vide ce week-end.

Oui, la réconciliation. Car la déchirure a été tellement profonde! Deux heures avant le match, j'ai retrouvé Jacques Doucet sur le terrain. Un sourire aux lèvres, celui qui a été la voix des Expos à la radio durant 33 ans regardait l'entraînement au bâton.

«En me dirigeant vers le Stade tantôt, j'avais de bons et de moins bons, souvenirs en tête, a-t-il dit. Mais là, ça va bien. Je revois de vieux amis, les gradins seront remplis et on aura un bon match de baseball.»

Jacques a ensuite évoqué les moments forts de l'histoire des Expos. Parmi ceux-là, la présentation du match des étoiles en 1982. «Tous les yeux étaient braqués sur Montréal...»

En revanche, il n'a pas oublié son adieu aux auditeurs après le dernier match des Expos, au Shea Stadium de New York, en octobre 2004. «J'ai écrit mon texte la veille, dans ma chambre d'hôtel. Et je me demandais si je serais capable de le lire jusqu'au bout. Lorsque j'ai prononcé les derniers mots, j'ai craqué...»

Ce jour-là, Marc Griffin l'accompagnait au micro. Jeune et fort, lui-même un ancien joueur, il était convaincu de terminer le reportage en conservant son flegme. «Mais en entendant Jacques, cet homme que j'avais écouté toute mon enfance, je suis aussi devenu très ému...» dit-il.

À sa façon, Marc Griffin a ensuite rendu hommage à Jacques Doucet. Celui-ci terminait la retransmission de tous les matchs en rappelant le score final. Mais que voulait dire une victoire ou une défaite en ce jour où la belle aventure des Expos prenait fin? Marc a plutôt lancé: «Compte final: 1969-2004...»

Entre l'arrivée des Expos et leur départ, trente-six saisons de baseball ont été jouées. On n'abandonne pas pareil héritage sans avoir la gorge serrée.

La peine de Jacques Doucet ce jour-là, des milliers de Québécois l'ont partagée.

Tim Raines était aussi au Stade olympique. Avant d'enfiler le vieux chandail des Expos pour l'hommage à Gary Carter, il endossait celui des Blue Jays, où il conseille les coureurs de l'organisation.

Le rapide voltigeur a connu ses heures de gloire à Montréal de 1981 à 1990. Son meilleur souvenir avec les Expos n'est pourtant pas associé à cette période, mais plutôt à son retour dans l'uniforme de l'équipe en 2001.

«Je revenais au jeu après avoir reçu un diagnostic de lupus deux ans plus tôt, raconte-t-il. J'ai été invité au camp d'entraînement des Expos et j'ai mérité une place dans l'équipe.

«Au match d'ouverture, lorsque je me suis présenté au bâton, les gens m'ont accordé une ovation formidable. Dix ans après mon départ! À tel point que le lanceur adverse a été déconcentré et m'a servi quatre balles d'affilée. Ce fut sans doute le plus grand moment de ma carrière. Parce que c'était ici, à Montréal.»

On l'oublie trop souvent. Pour quelques joueurs incapables de trouver des Doritos à leur goût à Montréal, des dizaines d'autres ont adoré leur expérience. Et pas les moindres. J'ai encore souvenir de Marquis Grissom et Pedro Martinez, absolument effondrés après avoir été échangés.

Scott Boras, le plus puissant agent dans le baseball majeur, a rappelé l'automne dernier combien les joueurs aimaient Montréal. C'était presque un endossement en cas de transfert d'équipe.

Le maire Denis Coderre était heureux de la réponse des amateurs montréalais. Les responsables du baseball majeur présents au Stade ont été «impressionnés», a-t-il dit.

On n'en doute pas puisque l'ambiance était du tonnerre! Mais d'autres étapes, plus difficiles, devront être franchies pour raffermir la candidature de Montréal à l'obtention d'une équipe. Il faudra d'abord trouver des investisseurs. Plusieurs décideurs économiques ont assisté au match. «Ils regardent ça avec intérêt», a ajouté le maire.

Cela dit, sans entretenir des attentes démesurées, ne négligeons pas le succès des deux matchs du week-end. Le souvenir du départ des Expos est toujours douloureux. Mais le temps a fait son oeuvre. L'espoir de les retrouver un jour occulte maintenant la colère causée par leur départ.

C'est un changement majeur, impossible à imaginer il y a cinq ans à peine.