Joey Saputo dit les choses franchement. Faire de l'Impact un incontournable de la vie sportive montréalaise, assurer son essor financier et son rayonnement public demeurent des défis redoutables.

«C'est plus difficile qu'on pensait, avoue le président de l'équipe. Nous progressons chaque année, les choses vont de mieux en mieux, mais je ne pensais pas que nous aurions à travailler aussi fort pour établir une nouvelle équipe en Major League Soccer [MLS].»

À l'occasion du premier match local de l'Impact cette saison, présenté demain au Stade olympique, Joey Saputo a longuement fait le point sur son organisation, hier, en entrevue avec La Presse.

Transparent comme peu de dirigeants sportifs savent l'être, il a évoqué une foule de sujets: modèle d'affaires, performance de l'équipe, embauche éventuelle d'un troisième joueur désigné... Il a aussi réagi aux dépenses somptuaires du Toronto FC durant l'entre- saison, dont l'effet se fait sentir aux quatre coins de la ligue.

Comme la MLS dans son ensemble, l'Impact est une organisation en croissance. Cela apporte son lot de beaux moments, mais aussi de problèmes. Et si l'équipe est sur la bonne voie, beaucoup de travail reste à faire.

Ainsi, en raison de ses bonnes assistances à domicile et de ses performances honnêtes sur le terrain, l'Impact donne souvent l'impression d'avoir réussi sans anicroche son passage en MLS. La réalité est plus complexe.

L'Impact a joint la MLS en 2012. En prévision de cette saison initiale, des analyses commandées par l'organisation ont indiqué que la vente de 13 000 abonnements, peut-être même 15 000, était un objectif réaliste.

Ces prévisions sont vite apparues trop optimistes. Malgré la popularité du soccer chez les jeunes Québécois, les entreprises ne se sont pas précipitées pour retenir leurs places au stade Saputo. La désillusion a été vive dans les bureaux de l'Impact. Et il a fallu recalibrer le modèle d'affaires.

«On croyait être plus avancés au début de notre troisième saison», reconnaît Joey Saputo, évoquant les 9000 abonnements vendus par l'équipe au cours des derniers mois. «Le taux de renouvellement a été très bon, mais on cherche encore à augmenter nos clients dans le secteur corporatif.»

Pour amoindrir le choc, l'Impact a misé sur les ventes individuelles et de groupes. Avec succès, puisque l'organisation est la meilleure de la ligue à ce chapitre. Mais en sport professionnel, rien ne vaut les billets de saison, qui assurent des rentrées d'argent stables.

L'Impact a aussi repensé sa structure de prix. Le plan était d'avoir un coût moyen d'environ 27$ par billet, alors que ce montant frôle plutôt 25$. Ce simple écart se traduit par un manque à gagner de centaines de milliers de dollars.

Cela dit, M. Saputo reste résolument optimiste pour l'avenir. «Je ne veux pas donner l'impression d'être négatif, car on progresse. Nos résultats financiers ont été meilleurs à notre deuxième année qu'à notre première. Et le plan pour cette saison est solide.

«L'important est de ne pas répéter nos erreurs, poursuit-il. On se retrousse les manches. On veut aligner une équipe compétitive sur le terrain et, au plan marketing, s'assurer que les gens auront du plaisir aux matchs de l'Impact.»

Ce dernier élément est essentiel. Car face aux hésitations des entreprises, l'Impact accordera encore plus d'importance aux familles. Les jeunes incitent en effet souvent leurs parents à assister à un match.

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Le sport, maintenant. L'Impact connaît un début de saison laborieux, ayant subi le revers à ses deux premières sorties à Dallas et Houston. La suspension de trois matchs à Marco Di Vaio, imposée après les événements regrettables du dernier match de 2013, privera de nouveau l'équipe de son meilleur joueur demain.

Cela dit, Joey Sauto est confiant en vue de la suite du calendrier. «La saison dernière, on a bien commencé, mais mal fini. J'aime mieux mal commencer, mais bien finir...»

Preuve de sa foi dans l'avenir, le président de l'Impact évoque déjà l'embauche d'un troisième joueur désigné en juin prochain lorsque s'ouvrira la période des transferts internationaux. L'équipe a les yeux sur un joueur en particulier et espère l'attirer à Montréal.

«On a de l'argent en réserve pour ajouter quelqu'un capable de faire la différence, explique Joey Saputo. Mais attention: je ne parle pas ici d'un gars à 6 millions par saison. Pas question d'hypothéquer notre avenir en pensant à court terme. Nous devons dépenser intelligemment.»

En plus de Di Vaio, l'Impact aligne un deuxième joueur désigné, Hernan Bernardello. (Les «joueurs désignés» sont les mieux payés de la MLS. L'écart entre leur salaire véritable et la somme de 387 500$, en théorie le maximum permis, n'est pas comptabilisée dans le plafond salarial de 3,1 millions.)

Pour l'Impact, l'investissement serait significatif. Aligner un troisième joueur désigné oblige une organisation à verser une prime de 150 000$ à la MLS, si le joueur retenu est âgé de 24 ans ou plus.

«Beaucoup de joueurs désignés n'ont pas bien fait en MLS, rappelle Joey Saputo, Nous, on a été chanceux avec Marco Di Vaio, qui s'est bien intégré à l'équipe et à la communauté. On veut des joueurs qui viennent à Montréal pour les bonnes raisons, pas seulement parce que l'argent est intéressant.»

En clair, l'Impact souhaite que ses joueurs-vedettes contribuent à la construction du club dans son ensemble en participant notamment au développement de son Académie, où la relève est formée. L'idée est qu'ils laissent un héritage après leur passage dans le maillot bleu-blanc-noir. Et pas seulement dans le livre des statistiques.

«On met beaucoup l'accent sur l'Académie parce qu'on veut développer des joueurs locaux, qui renforceront le sentiment d'appartenance de nos partisans envers le club, explique le président. Du coup, nos jeunes joueurs développeront leur propre sentiment d'appartenance envers le maillot.

«Mais pour réussir ça, on a besoin d'aide. On a de bons entraîneurs, mais les joueurs d'expérience et de qualité contribuent au développement du club à tous les niveaux.»

L'organisation souhaite aussi trouver des joueurs curieux et ouverts, capables de s'adapter à la réalité de Montréal, une ville dont la mentalité, la culture et la langue sont différentes de celles des autres équipes du circuit. Joey Saputo tient beaucoup à ce que l'Impact conserve son caractère distinct. Pour lui, il s'agit d'une richesse du club et il entend la préserver.

«Je veux gagner, je ne suis pas tellement du genre Que sera sera... ajoute-t-il. Alors, je garde l'esprit ouvert. L'argent sera disponible pour un gars avec la bonne mentalité et capable de faire la différence. Il doit comprendre la nécessité de s'intégrer à la culture pour obtenir du succès.»

Le président de l'Impact rappelle que l'organisation doit aussi préparer l'après-Di Vaio. L'attaquant italien aura 38 ans en juillet prochain.

Bref, si le prix est correct, entre 1 et 2 millions par saison, l'Impact passera à l'action si une entente est possible.

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Impossible de discuter avec Joey Saputo sans évoquer le cas du Toronto FC. Durant l'entre-saison, le groupe Maple Leaf Sports&Entertainment, dont font partie les Maple Leafs et les Raptors de Toronto, a dépensé 100 millions pour obtenir deux vedettes internationales, Jermain Defoe et Michael Bradley.

Les frais de transfert versés à leur ancienne équipe ainsi que la valeur de leurs contrats à long terme atteignent ce chiffre qui frappe l'imagination.

S'il s'agit d'une bonne nouvelle pour la MLS, une destination de plus en plus crédible pour des joueurs de premier plan, elle complique la vie de l'Impact. Le Toronto FC est son rival naturel. Si ces embauches avaient été réalisées par le Chivas USA ou le Real Salt Lake, l'affaire n'aurait pas eu la même résonance à Montréal.

«Ce que Toronto a fait est fantastique pour la ligue, dit Joey Saputo. Cela attire aussi l'attention sur le soccer au Canada. Si Toronto va bien, cela peut augmenter les commandites. À long terme, Vancouver et nous en profiterons.»

En revanche, la situation est aussi inquiétante pour quelques équipes de la MLS, dont l'Impact. Les sommes versées par le Toronto FC pourraient grossir l'appétit financier d'autres joueurs tentés par l'aventure en MLS. Cela risque d'augmenter la structure de coûts.

«Si Toronto peut bâtir un modèle d'affaires ainsi, tant mieux, ajoute Joey Saputo. Mais moi, je ne peux pas agir ainsi. Je dois penser à long terme. Et je ne dépenserai pas 100 millions pour deux joueurs.»

Voilà pourquoi, dans une lettre envoyée aux détenteurs d'abonnements plus tôt ce mois-ci, Joey Saputo a dit préférer une évolution «naturelle», ce qui sous-tend une gestion financière responsable. Et son message à ses deux hommes de confiance, Frank Klopas et Nick de Santis, est clair: il faut dépenser de manière futée et astucieuse.

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Joey Saputo croyait bien que l'Impact retrouverait ses partisans cet après-midi au Stade olympique. Mais l'état de la toiture du Stade a forcé le report du match à demain en raison des chutes de neige prévues.

Lorsque je lui ai parlé hier, cette nouvelle n'avait pas encore été annoncée. Mais la discussion à propos de cette possibilité alimentait la conversation depuis deux jours. «C'est dommage, ça détourne l'attention de l'engouement que doit susciter le match...», disait-il.

L'Impact se serait passé de cette contrariété. Mais ce n'est ni la première, ni la dernière difficulté à laquelle l'organisation fait face. L'important est de garder le cap en étant fidèle à ses principes tout en corrigeant le tir lorsque nécessaire.

Et sur ce plan, malgré les inévitables tempêtes, l'Impact poursuit sa croissance de façon intéressante.