Ce jour-là, étendu dans la neige, Denny Morrison a compris que sa jambe était fracturée. Mais la perspective de rater les Jeux de Sotchi ne lui a jamais traversé l'esprit. «Dans six semaines, je serai rétabli...», s'est-il dit, en attendant les secours.

C'était le 22 décembre 2012, moins de 14 mois avant le rendez-vous olympique. Morrison était en visite chez ses parents à l'occasion de Noël. Amateur de ski de fond, il s'offrait une belle randonnée lorsqu'il a dévié de la piste. Un de ses skis s'est coincé sous un arbre tombé au sol. Il a culbuté et subi une fracture.

Quelques heures plus tard, de l'hôpital, il a appelé son entraîneur : «Bart, j'ai une mauvaise nouvelle...»

Bart Schouten, un Hollandais qui s'est joint à l'équipe canadienne en 2011, a réagi à la nouvelle avec philosophie. Après tout, il était heureux que Morrison pratique le ski de fond, un excellent entraînement pour un patineur de vitesse. «Des malchances, ça arrive...», a-t-il simplement pensé.

Hélas, après six semaines, Morrison était loin d'être entièrement remis. La fracture a entraîné un malaise à la cheville gauche, puis à la cheville droite, puis au dos, puis aux hanches...

Les thérapeutes de l'équipe ont mis les bouchées doubles pour l'aider à retrouver un état physique optimal. Voilà pourquoi ce sont eux, ces travailleurs de l'ombre, qu'il a d'abord remerciés, hier, après avoir remporté une deuxième médaille aux Jeux de Sotchi : «Je veux qu'ils partagent ce succès avec moi.»

Morrison a terminé troisième au 1500 m sur longue piste. Cette fois, aucun coéquipier n'a eu à lui céder sa place, comme ce fut le cas mercredi au 1000 m. La décision généreuse de Gilmore Junio lui avait alors permis de remporter la médaille d'argent.

Morrison s'est élancé dans la 15e des 20 paires de coureurs inscrits à l'épreuve. Il s'est provisoirement retrouvé au premier rang, mais plusieurs des principaux prétendants au titre n'avaient pas encore pris le départ.

Le patineur canadien devait donc attendre, les yeux rivés sur le chrono. Un exercice long et éprouvant pour les nerfs, pensez-vous ? Pas vraiment ! Morrison avait tellement mal aux jambes qu'il n'a pas vu le temps passer.

«Le 1500 m, c'est une course épeurante, a-t-il dit. Au départ, tu sais déjà que ça va faire mal. Surtout moi. Parce que ma stratégie, c'est de partir le plus vite possible et de tenter de tenir le coup jusqu'au bout.

«Quand la course prend fin, la douleur dans mes jambes devient énorme. J'ai simplement le temps de patiner un demi-tour pour décompresser, de saluer mon coach, et voilà qu'elle me submerge. Ça, c'est la première vague. Elle est suivie de la deuxième, exponentiellement plus forte. Ça te met à terre, t'as juste le goût de vomir...»

- Pourquoi fais-tu ça, au juste ?

Morrison a éclaté de rire :

«Je ne sais pas. On dirait que j'aime ça...»

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Avec ses médailles d'argent et de bronze, Morrison se révèle l'un des meilleurs athlètes canadiens à ces Jeux. Il fait partie de l'élite mondiale depuis plusieurs années, mais ne s'était encore jamais imposé dans les courses individuelles aux Jeux olympiques.

«Je vis un conte de fées, a-t-il dit. Je rêve à ça depuis les Jeux de Turin, en 2006. Cette année-là, je pensais avoir ce qu'il fallait pour réussir. Même chose à Vancouver en 2010. Mais ça n'a pas fonctionné.

«J'ai pris une année sabbatique par la suite. Ça m'a permis de reconstruire ma motivation. Ma fracture à la jambe a eu le même effet. Je voulais prouver des choses, même si j'étais maintenant un négligé.»

Le succès entraîne le succès, c'est bien connu. Et la médaille d'argent de mercredi a augmenté la confiance de Morrison. «Je me suis senti tellement chanceux de participer à cette course. Les émotions ont explosé quand j'ai terminé deuxième. Aujourd'hui, c'est différent. Je me suis qualifié moi-même pour cette course et je peux célébrer plus calmement.»

Au bout du compte, Morrison a été devancé par le Polonais Zbigniew Brodka et le Néerlandais Koen Verweij. Les juges ont utilisé les millièmes de seconde pour les départager, alors que les centièmes suffisent habituellement à dicter le classement. Écart final : trois millièmes de seconde !

Verweij voulait l'or, et sa deuxième place lui a causé beaucoup de souffrance. La veste détachée, ses longs cheveux blonds sur les épaules, il était incrédule à l'annonce des résultats officiels.

«Ce n'est pas la médaille que je voulais. Je devrais être content de remporter l'argent, mais je ressens un vide immense. Comme si tout mon travail n'avait rien donné... Quand tu obtiens l'argent, tu es le premier des perdants.»

En voilà un qui aura besoin d'un entretien avec son psychologue sportif.

Brodka était évidemment dans un tout autre état d'esprit. «C'est fantastique. Vous savez, nous n'avons même pas d'anneau de glace couvert en Pologne. On se promène partout en Europe pour trouver des endroits où s'entraîner.»

Sur le podium où des fleurs étaient remises aux médaillés, Brodka a dit à Verweij : «Je suis désolé, mais c'est le sport.»

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Il a fallu du cran à Morrison pour s'imposer dans un sport dominé par les Hollandais. Mais l'entraîneur Bart Schouten ne voit pas les choses ainsi.

«Denny n'est pas intimidé par eux. Moi non plus. À Turin et Vancouver, il n'a pas patiné comme il aurait aimé le faire. C'était peut-être la pression. Mais il a acquis de la maturité et a amélioré son approche. Il a accompli des pas gigantesques.»

Cette progression extraordinaire, Morrison, un grand sourire aux lèvres, l'a résumée ainsi : «La meilleure semaine de ma vie, man

Une autre médaille?

Denny Morrison pourrait ajouter une troisième médaille à son palmarès aux Jeux de Sotchi samedi prochain. Le Canada défendra son titre olympique en poursuite par équipes.

Le Québécois Mathieu Giroux, qui a terminé au 19e rang de l'épreuve d'hier, croit aux chances des siens. «On fait une meilleure utilisation de nos poussées, a-t-il dit. Et la manière dont Denny a fini la course d'aujourd'hui est un bon signe.»

Morrison faisait partie de l'équipe qui a gagné l'argent à Turin et l'or à Vancouver. «Je veux une autre médaille », a-t-il dit.