Depuis 40 ans, le Québec et le Canadien occupent les avant-postes dans la lutte contre la violence au hockey.

Cette tradition trouve son origine dans les années 1970, où la stratégie des Flyers de Philadelphie était d'intimider l'adversaire. Les «Broad Street Bullies», un surnom approprié pour cette équipe alignant plusieurs goons, ont remporté la Coupe Stanley en 1974 et 1975.

Lorsque le Canadien a mis fin à cette domination en les éliminant à la finale de 1976, Serge Savard a déclaré avec raison qu'il s'agissait d'une «grande victoire pour le hockey».

Défenseur vedette du Canadien, Savard luttait pour mettre fin à ce «règne de la terreur», comme il l'a expliqué à Mario Langlois, le mois dernier, au 98,5.

Le triomphe du Canadien, obtenu grâce à la vitesse et l'adresse, a eu un effet d'entraînement. L'influence des Flyers a diminué dans la pyramide du hockey, de la LNH aux rangs mineurs.

À la même époque, la blessure subie par Marc Tardif, victime d'un terrible assaut lors d'un match des Nordiques, dans l'Association mondiale de hockey, a aussi provoqué un choc. Le hockey ne pouvait continuer ainsi.

Malgré des dérapages, comme le match du Vendredi saint où les Nordiques et le Canadien ont fait honte à leur sport en 1984, une tendance lourde s'est dégagée au Québec: le désir de nettoyer le hockey et de faire la promotion du jeu propre.

- Ce n'est pas un hasard si Serge Savard a fondé la Ligue collégiale AAA pour offrir une solution de rechange à la violence des matchs dans les années 1970.

- Ce n'est pas un hasard si c'est au Québec que la mise en échec a été interdite chez les pee-wee dès 1986, 27 ans avant que le reste du Canada n'emboîte le pas.

- Ce n'est pas un hasard si après l'affaire Jonathan Roy, ce gardien des Remparts de Québec qui a assailli un adversaire en 2008, la ministre Michelle Courchesne a exigé que la LHJMQ renforce ses règlements pour mettre fin à ces abus. Tout n'a pas été réglé, mais ce fut un pas en avant.

- Ce n'est pas un hasard si dans l'affaire Max Pacioretty en 2011, Geoff Molson a déclaré que la sécurité des joueurs dans la LNH était «sérieusement compromise» et que cette situation avait atteint un «niveau alarmant».

- Ce n'est pas un hasard si, en août dernier, une motion de l'Association médicale canadienne dénonçant le laxisme de la LNH en matière de coups à la tête a été proposée par Pierre Harvey, un médecin de Rivière-du-Loup secoué par l'affaire Pacioretty.

Ces interventions se situent dans une continuité historique: le Québec et le Canadien militent haut et fort contre la violence au hockey.

Hélas, il faut maintenant poser cette question: la direction du Canadien est-elle en train de glisser dans le camp des mous? Assiste-t-on à un changement de philosophie qui, sous des dehors anodins, annonce une brisure significative avec le passé?

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Le débat sur les bagarres fait rage dans la LNH. Il est alimenté par l'avancée des recherches sur les effets des commotions cérébrales. Et aussi par des événements comme la blessure de George Parros et l'assaut de Ray Emery, le gardien des Flyers, sur son homologue des Capitals.

Les Penguins de Pittsburgh, le Lightning de Tampa Bay et les Hurricanes de la Caroline ont clairement dit leur opposition aux bagarres. Les Maple Leafs de Toronto et les Flames de Calgary ont plutôt manifesté leur soutien.

Brian Burke, président du secteur hockey des Flames, a même écrit un texte appuyant les bagarres dans le USA Today. Il serait étonnant que le commissaire Gary Bettman n'ait pas approuvé l'initiative. L'opinion de Burke semble représenter la position du circuit.

Dans ce débat, le Canadien demeure ambivalent. Geoff Molson a qualifié l'affaire Parros de «mauvaise chute» et rappelé que les bagarres faisaient aujourd'hui partie du hockey: «Ce n'est pas moi qui vais changer ça du jour au lendemain.»

Puis, la semaine dernière, à l'issue de la rencontre des directeurs généraux à Toronto, Marc Bergevin a repoussé tout sentiment d'urgence. «Dans les trois quarts des matchs, il n'y a pas de bagarres», a-t-il dit, ajoutant qu'il n'y avait pas «d'épidémie» sur ce plan.

Du même souffle, Bergevin a mentionné que la «sécurité des joueurs» était importante pour lui. Or, comment concilier cette position avec une réalité incontournable, soit que le propre d'une bagarre est de sonner son rival?

Julien Brisebois, le DG adjoint du Lightning de Tampa Bay - et un ancien de l'organisation du Canadien -, a bien résumé l'affaire, la semaine dernière, au micro de Michel Villeneuve et Ron Fournier. Il a rappelé les raisons pour lesquelles son patron Steve Yzerman souhaitait l'abolition des bagarres.

«On dit qu'on ne peut pas essayer de blesser un joueur adverse... sauf si on jette les gants et qu'on se frappe sur la gueule! Là, il n'y a pas de conséquences. Si on veut être conséquents avec nous-mêmes, et c'est la position de Steve, il faudrait peut-être enrayer ces coups à la tête, des coups qu'on peut facilement enrayer.»

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Geoff Molson et Marc Bergevin ont refusé mes demandes d'entrevue sur cette question. Le Canadien m'a fait savoir qu'ils ne veulent pas prendre position publiquement. Et que la réflexion se poursuit au sein de la Ligue nationale.

En clair, si l'objectif est d'abolir les bagarres, le leadership ne viendra pas de Montréal. Il faudra plutôt se tourner vers Tampa Bay, Pittsburgh et la Caroline.

Pour le Canadien, c'est un pas en arrière, à contresens de sa position traditionnelle.

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Note: Le point de presse de Marc Bergevin à Toronto a été diffusé sur RDS.ca