Reconnaissons à Lance Armstrong un mérite: il ne s'est pas composé un nouveau personnage en vue de son entrevue avec Oprah Winfrey. Sûr de lui, rarement ému mais souvent à la limite de l'arrogance, il a été fidèle à lui-même. Ses yeux d'acier n'ont traduit qu'un seul véritable regret: celui de s'être fait pincer.

«Nous ne serions pas assis ici si je n'avais pas effectué un retour à la compétition», a-t-il dit à l'animatrice, évoquant sa décision de remonter sur un vélo en 2009, près de quatre ans après sa retraite.

Cette déclaration est éloquente. Dans l'esprit d'Armstrong, ce n'est pas tant le dopage qui l'a conduit à sa perte, mais un mauvais choix stratégique à un moment charnière de sa carrière.

S'il n'avait pas repris la route du Tour de France, son ancien coéquipier Floyd Landis lui serait sans doute demeuré fidèle. Mais voilà: Landis, vainqueur déchu du Tour de 2006 pour cause de dopage, souhaitait rejoindre Armstrong au sein de sa nouvelle équipe. L'invitation n'est jamais venue.

Quelques mois plus tard, coïncidence ou non, Landis a accordé une longue entrevue au Wall Street Journal, dans laquelle il a vidé son sac à propos de la culture de dopage au sein de l'équipe US Postal. Ce fut le point de bascule, a reconnu Armstrong.

Les allégations de Landis ont déclenché une enquête de la justice américaine. En février 2011, les procureurs fédéraux, sans fournir de motif, ont annoncé qu'ils ne déposeraient pas d'accusations à l'encontre d'Armstrong. «Je croyais m'en être sorti», a-t-il admis.

Mais l'Agence américaine antidopage (USADA) a saisi la balle au bond. Sans la détermination de son directeur Travis Tygart, dont le rapport d'octobre dernier a détaillé tous les aspects du scandale, Armstrong répéterait encore ses mensonges.

Et, plus grave encore, il continuerait d'intimider les témoins osant mettre en doute sa version des faits.

Fallait voir le léger sourire d'Armstrong lorsqu'il a décrit le programme de dopage de son équipe. On aurait cru entendre un conseiller financier présenter avec fierté sa stratégie de placement à un investisseur potentiel.

«Un système professionnel, intelligent - si on peut dire -, très conservateur et fondé sur l'aversion au risque», a-t-il expliqué.

Un peu plus et il soulignait le taux de rendement avantageux...

Il ne s'est pas montré davantage tourmenté en rappelant les nombreuses poursuites qu'il a déposées contre ses détracteurs, afin de «défendre son territoire». L'empathie ne le caractérise pas.

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Si Armstrong avoue enfin s'être dopé depuis le milieu des années 90, s'il reconnaît avoir brisé les règles dans chacune de ses sept victoires au Tour de France, ce n'est pas pour soulager sa conscience. Mais tout simplement parce qu'il n'a pas le choix.

Le jour où son ami et ex-coéquipier George Hincapie a témoigné contre lui devant l'USADA, Armstrong a compris que son «sort était scellé», pour reprendre son expression. Dans les circonstances, aussi bien modifier sa stratégie.

Mais Armstrong dit-il toute la vérité ou continue-t-il de mentir? À Oprah Winfrey, il a juré ne pas s'être dopé lors de son retour en course en 2009 et 2010.

Or, dans son rapport, l'Agence américaine soutient qu'il existe «moins d'une chance sur un million» pour que ses paramètres sanguins de l'époque soient le résultat de causes naturelles.

L'Agence démontre aussi qu'Armstrong demeurait en contact très étroit avec Michele Ferrari, le médecin italien suspecté d'avoir conseillé plusieurs cyclistes en matière de dopage.

Alors pourquoi Armstrong n'a-t-il pas avoué s'être dopé à ses deux derniers Tours de France? Tout simplement parce que cette admission pourrait lui valoir la prison, explique Eric Macramalla, avocat spécialisé en droit sportif aux bureaux de Gowlings, à Ottawa.

Aux États-Unis, de manière générale, un athlète ne peut être accusé d'utilisation de produits dopants plus de cinq ans après le fait. En reconnaissant avoir triché jusqu'en 2005, Armstrong ne court aucun risque. En revanche, cette assurance n'existe pas pour les courses de 2009 et 2010.

Voilà aussi pourquoi Armstrong admet implicitement s'être parjuré lors d'un procès tenu en 2005. Le délai de presciption joue là aussi en sa faveur.

Dans l'espoir de régler ses problèmes avec la justice, Armstrong a déjà amorcé des pourparlers avec le gouvernement américain. Il serait disposé à rembourser une partie des 30,6 millions versés à son équipe par le Service postal des États-Unis.

Armstrong est prêt à perdre plusieurs millions. Mais il ne veut évidemment pas se retrouver en prison.

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Oprah Winfrey a bien amorcé son entrevue d'Armstrong. D'entrée de jeu, celui-ci a répondu à une série de questions précises et reconnu s'être dopé. Ce fut un moment très fort de télévision.

L'animatrice-vedette ne peut cependant se substituer à un organisme doté de réels pouvoirs. Dans une entrevue à la BBC, John Fahey, le président de l'Agence mondiale antidopage, l'a bien expliqué.

«Si Armstrong est sérieux dans son désir de rédemption, il témoignera sous serment devant un tribunal approprié, se soumettra à un contre-interrogatoire, donnera des noms, dira qui dans son entourage l'a aidé à tricher, qui a fourni les produits dopants et quels officiels l'ont prévenu qu'il pourrait être contrôlé.»

L'affaire Armstrong continuera d'alimenter l'actualité. Et d'autres révélations surviendront inévitablement.

N'en reste pas moins qu'une page importante de l'histoire du cyclisme a été tournée jeudi soir.