Les chiffres, je les connaissais. Plus de 850 000 participants partout au Canada, dont 40% de filles. Au Québec seulement, quatre fois plus de joueurs en 20 ans!

Mais il a fallu une petite anecdote pour que je prenne pleinement conscience de cette extraordinaire explosion de la popularité du soccer au pays. C'était dans une école de Drummondville, au printemps dernier. J'accompagnais ma fille dans un tournoi provincial n'ayant rien à voir avec le sport.

Lors d'une pause, je m'assois devant une télé branchée sur un match éliminatoire de la Ligue nationale de hockey (LNH). Tout en pianotant sur mon ordinateur, je surveille l'action d'un oeil distrait.

Soudain, j'entends une clameur: un groupe d'élèves, installés devant un autre appareil quelques mètres plus loin, manifestent leur joie.

Je lève les yeux vers mon match en pensant avoir raté un but. Mais non. Les Rangers et les Devils cafouillent en zone neutre et le jeu est sans intérêt.

Deux minutes plus tard, le phénomène se répète. À l'évidence, les jeunes écoutent une rencontre beaucoup plus intéressante! Vous devinez la suite: ils étaient captivés par un grand match de soccer international: Bayern Munich contre Chelsea.

On n'aurait pas vu ça il y a 20 ans.

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En raison de son passé plus que de son avenir, le hockey occupe une place incontournable dans nos vies. Mais l'époque où il dominait la pratique sportive, surtout celle des garçons, est révolue.

Aujourd'hui, d'un océan à l'autre, le soccer est le sport de prédilection des jeunes. Un exemple: de 1992 à 2005, le pourcentage d'enfants canadiens pratiquant un sport a diminué de 57 à 51%; en revanche, le nombre d'adeptes du soccer a augmenté de 12 à 20%. Cette poussée se situe donc à contre-courant de la tendance de fond.

Cet essor est bienvenu. La pratique du soccer favorise la forme physique, encourage la camaraderie et l'esprit de compétition. Et, autre avantage non négligeable, il ne vide pas le porte-monnaie des parents.

En revanche, cette croissance à grande vitesse comporte un danger. Les données réunies par des universitaires québécois, dont ma collègue Gabrielle Duchaine fait état dans ces pages, mettent en lumière la violence physique et verbale sur les terrains.

Ainsi, la moitié des joueurs de 12 à 17 ans inscrits à un programme sport-études disent avoir été victimes de violence. C'est énorme.

Les auteurs de l'étude, après avoir rappelé les bienfaits du soccer sur l'estime de soi et la santé, font cette mise en garde: «Avec un tel engouement des jeunes pour le soccer au Canada depuis plus de 10 ans, le risque que ce sport ne puisse suivre un rythme de croissance aussi soutenu tout en maintenant un développement sain est bien réel».

La crainte, bien sûr, c'est que certaines valeurs négatives du hockey se transposent au soccer. Du comportement de parents émotifs dans les gradins à l'absence d'esprit sportif entre les joueurs, les pièges sont nombreux.

Or, une fois que le ciment est pris, il est très difficile de le briser. Tenez, il a fallu attendre à l'an dernier avant que Hockey Canada n'implante une politique de tolérance zéro relativement aux coups à la tête dans les rangs amateurs. Ce n'est pourtant pas d'hier qu'ils provoquent des blessures graves.

La Ligue de hockey junior majeur du Québec tolère toujours les bagarres. La saison dernière, selon les chiffres de mon collègue Mathias Brunet, 17 joueurs se sont battus au moins 10 fois. On parle ici d'adolescents. Mais le circuit estime en faire déjà suffisamment pour lutter contre la violence.

Il est vrai que l'exemple vient de haut. La LNH tolère les combats. Et refuse toujours d'accepter le lien entre les coups de poing au visage et les commotions cérébrales.

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Le soccer connaît une période faste au Canada. Aux Jeux olympiques de Londres, l'été dernier, l'équipe féminine a suscité un engouement extraordinaire. Les performances de Christine Sinclair, la meilleure joueuse au monde, ont frappé l'imagination.

Sous la gouverne du Britannique John Herdman, un entraîneur de talent, nos porte-couleurs sont devenues la première équipe canadienne depuis 1936 à monter sur le podium dans un sport collectif aux Jeux d'été. Deux Québécoises étaient du groupe, Marie-Ève Nault et Rhian Wilkinson.

En 2015, la Coupe du monde de soccer féminin sera présentée au Canada. Plusieurs matchs auront lieu au Stade olympique, ce qui gonflera encore la popularité du soccer auprès des jeunes.

Bref, la place du soccer augmente toujours sur notre échiquier sportif. L'intérêt suscité par les grands matchs internationaux, tout comme le succès de l'Impact à sa première saison en Major League Soccer, en témoignent.

Sur le plan de la participation, Soccer Canada estime que plus d'un million de Canadiens pratiqueront ce sport dans trois ans. Pour que cette progression fulgurante soit couronnée de succès, il faudra investir davantage dans la formation des entraîneurs, des arbitres et des joueurs.

La violence est un fléau qui guette plusieurs sports. Le soccer n'y échappe pas, encore plus autour du terrain. Sur la scène internationale, l'intimidation, les insultes et les drames ont malheureusement jalonné son histoire.

Voilà pourquoi l'étude des universitaires québécois est utile. Elle rappelle que la vigilance est de mise.