Une journée ensoleillée d'août dernier. Lance Armstrong est à Montréal, conférencier-vedette du Congrès mondial sur le cancer. Cet événement prestigieux réunit des spécialistes venus des quatre coins de la planète.

Si l'Agence américaine antidopage (USADA) a déjà dépouillé Armstrong de ses sept titres du Tour de France, elle n'a toujours pas dévoilé son dévastateur rapport, qui causera bientôt sa chute. L'étau se resserre, mais cela n'affecte en rien sa bravade légendaire.

«Mon nom est Lance Armstrong, je suis un survivant du cancer, père de cinq enfants et, oui, j'ai remporté sept Tours de France», a-t-il lancé aux congressistes.

C'était à la fin de l'été. Mais pour Armstrong, aussi bien dire une éternité.

Deux mois plus tard, son univers s'est écroulé. Le sport professionnel n'a jamais été témoin d'une chute si vertigineuse. Son nom est désormais rayé du livre des records. Ses partenaires commerciaux l'ont abandonné. Et ses ennuis juridiques s'annoncent immenses.

Cette fois, Armstrong ne pourra utiliser son arme préférée, l'intimidation, pour sauver sa renommée.

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Dans le rapport de l'USADA, le plus choquant est la manière dont Armstrong a attaqué tous ceux qui ont osé se mettre en travers son chemin. Ces menaces représentent une distinction fondamentale entre son cas et celui d'autres dopés célèbres comme Ben Johnson, Marion Jones ou Alberto Contador.

Avec Armstrong, on n'a pas affaire à un athlète se dopant en secret, mais à une personne qui érige un système de tricherie, incite des coéquipiers impressionnables à l'imiter sous peine d'expulsion et instaure une culture du silence.

Cette brutalité psychologique aide à comprendre l'inflexibilité des autorités américaines à son endroit. Elle explique aussi pourquoi ses commanditaires ont mis fin à leur association avec lui. La «marque» Armstrong n'est plus synonyme d'exploit humain (vaincre le cancer) ou sportif (gagner le Tour), mais plutôt d'ultimatums à son entourage.

Dès 1999, Armstrong s'en est pris à un rival, Christophe Bassons, jeune coureur qui dénonçait souvent le dopage dans une chronique qu'il signait dans le journal Le Parisien.

Au Tour de France, après une performance exceptionnelle d'Armstrong dans l'étape de Sestrières, Bassons a écrit que cet exploit avait «secoué» le peloton. L'allusion a choqué Armstrong. Le lendemain, il l'a apostrophé dans la montée de L'Alpe d'Huez, le traitant de «disgrâce» et disant qu'il devrait abandonner son sport.

Armstrong, on le sait maintenant, carburait à l'EPO durant ce Tour. «Lance se moquait de Bassons à la façon du despote d'une cour d'école», a expliqué plus tard Jonathan Vaughters, son ancien coéquipier.

Armstrong ne s'est pas arrêté là. Le coureur Filippo Simeoni l'a appris à ses dépens. Devant les autorités italiennes, il a témoigné contre Michele Ferrari, le médecin qui supervisait le programme de dopage de US Postal. Armstrong, qui voulait protéger son conseiller, a accusé Simeoni de mentir. Celui-ci a répliqué en intentant une action en diffamation contre lui.

Dans une étape du Tour de 2004, Armstrong s'est approché de Simeoni: «Tu as commis une erreur en témoignant contre Ferrari et en me poursuivant. J'ai beaucoup de temps et d'argent. Je peux te détruire». Une caméra a capté la fin de l'échange, lorsqu'Armstrong a fait signe à Simeoni qu'il aurait désormais avantage à se la boucler.

Le rapport de la USADA cite d'autres incidents semblables. Armstrong menace Tyler Hamilton dans un restaurant du Colorado; il expédie des messages inquiétants à ses anciens coéquipiers Levi Leipheimer et Frankie Andreu, ainsi qu'à leurs conjointes; ses avocats compliquent la carrière d'un médecin ayant commenté un article l'associant au dopage...

Tous ces épisodes, extraits du rapport de la USADA, obscurcissent l'avenir d'Armstrong. S'excuser de s'être dopé, peu importe son degré de sincérité, ne sera pas suffisant pour rétablir son image.

Le cas de Lance Armstrong n'en est pas un de dopage ordinaire.

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Aux États-Unis, la réputation d'Armstrong intimidait plusieurs journalistes. Dans un texte révélateur, Steve Madden, ancien rédacteur en chef de Bicycling, explique pourquoi son magazine n'a jamais accordé d'attention aux rumeurs associant Armstrong au dopage.

«Il employait des avocats brillants qui combattaient la moindre marque de déloyauté avec des poursuites, des contre-accusations et des rumeurs...»

L'aspect économique a aussi joué, reconnaît M. Madden. Grâce à son influence dans le vélo, Armstrong pouvait mettre fin à une campagne publicitaire dans le magazine. «Ces publicités payaient notre salaire, ajoute-t-il. Si nous ne pouvions faire d'argent durant ces années fastes, quand le ferions-nous?»

Aujourd'hui, on assiste à un ironique retour du pendule. C'est maintenant Armstrong qui a perdu ses commanditaires. La revue Forbes estime son manque à gagner à plus de 100 millions au cours des prochaines années.

La direction du Tour de France veut aussi récupérer les sommes que ses victoires lui ont values. Sans compter les entreprises qui souhaiteront retrouver les bonis qu'elles lui ont versés.

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Dans une entrevue à mon collègue Michel Marois, Richard Pound déclarait récemment: «Il y a des produits dopants dont nous ne connaissons même pas l'existence, des techniques de dopage qui permettent de contourner aisément les contrôles actuels».

Par définition, la lutte au dopage sera toujours un éternel recommencement. Ce n'est pas une raison pour baisser les bras. Même un type aussi puissant qu'Armstrong a été rattrapé par le système.

Le prochain Congrès mondial sur le cancer aura lieu à Melbourne, en Australie, en 2014. Lance Armstrong n'y sera pas conférencier.