Ainsi, Lance Armstrong ne s'expliquera pas. Il pourra se draper jusqu'au bout dans la peau d'une victime, injustement ciblée par des gens le détestant.

On veut lui retirer ses victoires au Tour de France? Qu'à cela ne tienne, il réplique avec la fougue qui caractérisait ses accélérations sauvages en montagne.

«Je sais qui a gagné ces sept Tours, mes coéquipiers et mes adversaires le savent aussi. C'est l'épreuve la plus dure du monde et l'homme le plus fort la remporte.»

De ce bagarreur impénitent, on ne s'attendait à rien de moins. Son communiqué de jeudi, dans lequel il précise pourquoi il ne contestera pas les accusations de l'Agence antidopage américaine (USADA), constitue d'abord une charge contre ses pourfendeurs. Rendre les armes, oui; baisser la tête, jamais.

La vie d'Armstrong est un extraordinaire feuilleton. Sept ans après sa dernière victoire au Tour de France, il suscite toujours des sentiments ambivalents. Sa lutte contre le cancer a inspiré des milliers de gens. Mais les doutes à propos de ses maillots jaunes alimentent le cynisme envers le sport de haute performance.

Pendant des années, et malgré des preuves toujours plus accablantes, Armstrong a combattu les soupçons à son endroit. Toujours de la même façon: en attaquant publiquement ses poursuivants, en les accusant de mener une vendetta personnelle contre lui.

Au bout du compte, Armstrong a subi une défaite cette semaine. Malgré sa bravade, il a réalisé que ses chances de sauver son héritage sportif étaient nulles. L'USADA avait fait de son cas une priorité. Travis Tygart, agressif avocat à la tête de l'Agence, n'allait pas lâcher le morceau.

***

À première vue, l'année 2012 ressemble à une descente aux enfers pour Armstrong. Mais attention! Les choses auraient pu être pires.

En février dernier, la justice américaine a mis fin à une enquête de deux ans sans déposer d'accusations contre lui. Armstrong a ainsi évité un procès criminel susceptible de conduire à une peine d'emprisonnement.

Pour Armstrong, ce scénario aurait été catastrophique. Les exemples de Barry Bonds et de Roger Clemens ont sûrement troublé son sommeil. Les deux anciens baseballeurs ont dû se défendre devant un jury après avoir été accusés d'infractions dans des dossiers liés au dopage.

Bonds a été reconnu coupable d'un seul chef d'accusation et les procureurs ont réclamé une peine de 15 mois de prison. Sa peine a été plus clémente et il a évité un séjour derrière les barreaux.

De son côté, Clemens aurait pu recevoir une peine de plusieurs mois de prison s'il avait été reconnu coupable. Il a finalement été acquitté, mais seulement après un deuxième procès, le premier ayant été interrompu par un vice de procédure.

L'entourage d'Armstrong, sentant la soupe chaude, a décrié ces procès, en affirmant qu'ils lésaient les contribuables américains en raison de leurs coûts énormes.

Les échecs relatifs des poursuites envers Bonds et Clemens feront hésiter les procureurs avant d'accuser d'autres athlètes dans des affaires de dopage.

N'empêche que si des faits nouveaux à propos d'Armstrong avaient été révélés en audition devant l'Agence antidopage, cela aurait pu alimenter la réflexion d'agents fédéraux toujours intéressés à son cas.

Bref, sur le plan stratégique, Armstrong prend une décision compréhensible en s'abstenant de produire une défense. Il continuera ainsi de clamer son innocence sans avoir à répliquer aux témoignages d'anciens coéquipiers, prêts à l'associer au dopage.

***

Un des principaux reproches formulés par Armstrong à l'endroit de l'USADA est de ne pas lui garantir une audition équitable.

L'argument n'est pas dénué de fondement. L'Agence antidopage américaine fonctionne selon ses propres règles et celles-ci rendent très difficile la mission de l'accusé. Les avocats d'Armstrong ont soulevé cet argument dans l'espoir de faire briser le processus, mais sans succès.

De plus, la preuve de l'USADA repose en partie sur des témoignages d'anciens coéquipiers d'Armstrong ayant eux-mêmes longtemps caché leur utilisation de produits dopants. Leur crédibilité est forcément suspecte.

Il n'en reste pas moins que les soupçons pesant sur Armstrong sont lourds. Au fil des années, plusieurs enquêtes l'ont lié au dopage, d'abord en Europe.

Mais depuis deux ans, des révélations importantes ont eu lieu aux États-Unis. L'hebdomadaire Sports Illustrated a publié une enquête dévastatrice à son sujet, et le réseau CBS a diffusé une entrevue où son ancien coéquipier Tyler Hamilton soutient l'avoir vu prendre de l'EPO.

Petit à petit, l'étau s'est resserré sur Armstrong dans son propre pays. Lorsque les procureurs fédéraux ont abandonné l'enquête criminelle contre lui, l'USADA a annoncé qu'elle pousserait l'affaire plus loin. Dès lors, Armstrong a compris que ses problèmes n'étaient pas réglés.

Au cours des prochains jours, tous les yeux seront rivés sur l'Union cycliste internationale (UCI), l'organisme qui gouverne le sport sur le plan international. Ses relations avec l'Agence américaine sont pourries.

L'UCI entérinera-t-elle les sanctions de l'USADA à l'encontre d'Armstrong? Et que fera la direction du Tour de France? Et le Comité international olympique? (Armstrong a gagné le bronze aux Jeux de Sidney.)

Et si Armstrong est effectivement privé de ses sept victoires au Tour de France, à qui celles-ci seront-elles accordées? Sur les cinq coureurs ayant terminé au deuxième rang derrière Armstrong, un seul, selon le New York Times, n'a jamais été mêlé à une histoire de dopage!

Quant aux entreprises ayant commandité Armstrong durant sa carrière, voudront-elles le poursuivre?

Armstrong n'a sûrement pas fini de se battre. Mais sa décision de jeudi marque un point de non-retour.

Pour joindre notre chroniqueur: pcantin@lapresse.ca