Pourquoi fallait-il que ça tombe sur eux?

Ils ne sont pas déjà assez gâtés avec leurs Giants, champions du Super Bowl? Et leurs Rangers, subitement devenus une des meilleures équipes de la LNH? Et leurs Yankees, capables de s'offrir une masse salariale de 200 millions? Et leur Madison Square Garden, rénové au coût d'un milliard?

Non, ce n'était pas assez. Fallait aussi que les New-Yorkais accueillent Jeremy Lin, le nouveau dieu du basketball.

À Noël, lorsque le calendrier de la NBA s'est ouvert après un lock-out de trois mois, Lin était un réserviste méconnu au sein d'une équipe très ordinaire. Le genre de gars avec qui les journalistes de sport blaguent le matin d'un match, mais qu'ils ne citent jamais dans leurs articles.

Le C.V. de Lin n'était en effet pas très inspirant. Un diplôme de Harvard représente un formidable atout pour un économiste, un avocat ou un MBA. Mais pas pour un joueur de basket. Mieux vaut avoir porté les couleurs des universités Duke ou Georgetown, qui sont au basket ce que Harvard est à l'érudition académique.

À peine sorti de la faculté d'économie, Lin a tenté sa chance chez les pros. Très vite, il a été retranché par les Rockets de Houston et les Warriors de Golden State, une équipe établie à Oakland. C'est ainsi qu'il s'est retrouvé chez les Knicks.

On lui a assigné une place au bout du banc en lui disant, j'en suis convaincu, de travailler fort durant les entraînements. Ce qu'il a fait. Puis, les blessures à des joueurs réguliers lui ont donné une chance de se faire valoir. Le reste fait partie de l'histoire.

Aujourd'hui, des dizaines de millions de personnes, de l'Amérique à l'Asie, célèbrent ses succès. Car la vie de Lin s'est transformée en conte de fées. En une poignée de matchs, il s'est imposé comme un des meilleurs joueurs du circuit, multipliant les coups d'éclat.

La caisse de résonance que constitue New York, capitale mondiale des médias, a servi d'accélérateur. En cette fin de février, Jeremy Lin est le sportif dont on parle le plus dans le monde. Au début du mois, il dormait pourtant sur un divan dans l'appartement de son frère, un étudiant à l'Université de New York.

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La semaine dernière, ma collègue Ariane Lacoursière a signé un excellent papier sur Lin, nous apprenant notamment qu'il est le premier Sino-Américain à jouer dans la NBA depuis 1947.

Dire que les origines de Lin suscitent l'intérêt constitue un euphémisme. Selon le New York Times, son arrière-grand-père, Chen Weiji, un fonctionnaire municipal chinois, a été converti au christianisme par des missionnaires protestants au début du XXe siècle.

De génération en génération, les convictions religieuses de Chen se sont transmises au sein de la famille. Ce qui explique la foi ouvertement assumée de Lin.

À la fin des années 40, lorsque les communistes de Mao ont pris le contrôle de la Chine, la grand-mère de Lin s'est réfugiée à Taiwan. Aujourd'hui, les citoyens de l'île applaudissent les exploits du sportif avec une ferveur presque excessive. Au point que Lin a demandé aux médias taiwanais de donner un peu d'air aux membres de sa famille qui habitent toujours dans le pays. «Ils ne peuvent même plus aller travailler sans qu'on les suive, a-t-il dit. J'aimerais qu'on respecte leur vie privée.»

En Chine, Lin est tout aussi populaire. Les maillots numéro 17 des Knicks se vendent comme des dim sums fumants. «Il n'en reste même plus de contrefaits...», a expliqué un commis à un journaliste du New York Times.

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Jeremy Lin a mené les Knicks à la victoire dans huit de leurs neuf derniers matchs. Dimanche, ils ont vaincu les Mavericks de Dallas, champions en titre de la NBA.

Parmi les spectateurs, on retrouvait Mark Zuckerberg, M. Facebook lui-même, et diplômé de Harvard comme Jeremy. Soudainement, c'est devenu in d'assister aux rencontres de l'équipe.

«Le match que Jeremy a joué, c'est presque ridicule, a déclaré, admiratif, son entraîneur Mike D'Antoni. Il joue encore mieux dans les moments décisifs. Il ne connaît pas la peur.»

Les journalistes américains ont fouillé dans leur mémoire pour trouver un autre joueur venu de nulle part qui s'est imposé comme un des meilleurs de sa profession. Kurt Warner, qui a mené les Rams de St. Louis à la conquête du Super Bowl en janvier 2000, est le nom qui revient le plus souvent. Lui non plus n'avait pas été repêché. Lui aussi affichait sa foi.

Au hockey, Luc Robitaille, choisi au 171e rang du repêchage de 1984, a aussi produit au-delà des attentes.

Mais avant de comparer Jeremy Lin à ces deux légendes, attendons un peu. Il démontre la force mentale et le talent pour réussir dans la NBA. Reste à savoir s'il possède la résistance physique pour briller au plus haut niveau durant toute une saison, séries éliminatoires comprises. Le basket est un sport très dur.

Mais pour l'instant, savourons les matchs des Knicks à la télé. On peut ainsi surveiller ce jeune homme de 23 ans, l'athlète de l'heure sur la planète sport. Une saprée belle histoire, même si c'est encore New York qui enlève le morceau!

Photo: AP

Après avoir été libéré par deux équipes de la NBA, Jeremy Lin a accepté un contrat avec les Knicks et il est devenu l'athlète de l'heure.