C'est la déroute chez le Canadien. En deux petites semaines, la direction a perdu son capital de sympathie, l'équipe a chuté au classement et la saison s'est transformée en catastrophe.

C'est dans ce contexte d'échec que Pierre Gauthier a dressé le bilan de mi-saison de son équipe, hier. Sans surprise, le DG n'affichait pas son aplomb caractéristique. En nommant Randy Cunneyworth, un unilingue anglophone, au poste d'entraîneur-chef, il a provoqué une crise. Et en déclarant sèchement «Une langue, ça s'apprend», le jour de l'annonce, il l'a amplifiée.

Depuis ce temps, l'organisation implore l'indulgence des partisans, un comportement qui n'a jamais fait partie de son code génétique. Ce fut d'abord par un communiqué de Geoff Molson, qui les remerciait de leur «compréhension». Gauthier a franchi un pas supplémentaire, hier. «Je suis désolé si on a offusqué des gens, a-t-il dit. Ce n'était certainement pas notre intention.»

Isolée dans sa tour d'ivoire, la haute direction du Canadien n'a jamais pressenti le ressac, pourtant si prévisible, qu'entraînerait la nomination de Cunneyworth. Ce manque d'antennes constitue l'aspect le plus désolant de tout l'épisode. Comment une organisation peut-elle être à ce point coupée de son milieu?

Le rêve de Cunneyworth, plongé malgré lui dans cette situation intenable, vire au cauchemar. Le 17 décembre, en annonçant la promotion de son protégé, Gauthier espérait qu'il demeurerait longtemps en poste. Hier, lorsque je lui ai demandé comment il envisageait l'avenir de son entraîneur, ses propos ont été plus nuancés.

«On évaluera ça à la fin de la saison, a-t-il répondu. On est très conscients de l'importance d'avoir un entraîneur bilingue, puisqu'une grosse partie de nos partisans et des médias sont francophones. Vous pouvez être assurés que les critères les plus importants seront respectés.»

En clair, le séjour de Cunneyworth derrière le banc ne se poursuivra pas au-delà de la saison actuelle. À moins qu'il n'apprenne le français en cinq mois, ce qui serait franchement étonnant.

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Si le sort de Cunneyworth semble réglé, celui de Gauthier lui-même demeure en suspens. Convaincra-t-il Geoff Molson de lui laisser une autre chance à la barre de l'équipe? Malgré ses nombreuses qualités, ce serait étonnant. Cette saison, ses deux principaux paris n'ont pas fonctionné.

Le premier, c'est ce contrat de trois ans accordé à Andrei Markov. Le défenseur n'a pas disputé un seul match cette saison et la date de son retour demeure une énigme. Hier, Gauthier a précisé qu'on ne le reverrait pas avant la pause du match des Étoiles. Son absence à la suite de son arthroscopie, qui devait durer de quatre à six semaines, en durera au moins huit. C'est de mauvais augure.

Le second, c'est ce changement précipité d'entraîneur, au moment où l'équipe demeurait correctement située dans la course aux séries éliminatoires. Aujourd'hui, admettons que les chances du Canadien de se qualifier pour le tournoi de la Coupe Stanley sont minimes. Il faudrait une suite de petits miracles pour que l'équipe réussisse une percée pouvant redonner espoir.

Le Canadien s'enlise dans une mauvaise direction. «Nos fans méritent mieux», reconnaît le DG, désormais impuissant à trouver des solutions.

Au-delà de la crise de relations publiques causée par la nomination de Cunneyworth, Gauthier paiera sans doute pour le manque à gagner lié à une exclusion des séries.

La chasse aux revenus constitue une priorité pour le Canadien. L'apparition de publicité virtuelle sur les baies vitrées et les commandites des gilets d'entraînement, deux initiatives annoncées cette saison, le rappellent éloquemment. Et dans la LNH, ce sont les matchs des séries qui font la différence dans les résultats financiers des organisations.

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Geoff Molson n'était pas présent au point de presse d'hier. Il aurait pourtant été intéressant de l'entendre. En permettant à Gauthier de nommer Cunneyworth, il a commis une erreur importante. Cela fait malheureusement partie de son apprentissage à titre de propriétaire et président du Canadien, un rôle sensible dans la société québécoise.

Si les espoirs de sauver cette saison sont presque nuls, il faut tout de même espérer que M. Molson en tirera des enseignements pour les années à venir. Sa famille et lui ont investi à long terme dans le Canadien. Ils veulent développer l'entreprise et ramener la Coupe Stanley à Montréal.

Une fois la déception actuelle évacuée, l'occasion sera belle de redéfinir le plan d'action de l'organisation. Un échec, lorsque ses suites sont gérées correctement, permet souvent de mieux rebondir.

Le sondage Crop-La Presse publié la veille de Noël fournit des éléments de réflexion à M. Molson. Ainsi, près de 80% des répondants estiment que l'équipe devrait embaucher plus de joueurs francophones et qu'elle a une responsabilité dans le développement du hockey au Québec. Et plus de 70% affirment que le Canadien représente une institution ancrée dans nos traditions et que l'organisation devrait prendre en compte l'opinion des amateurs.

Les succès commerciaux du Canadien ont entraîné de la complaisance chez ses dirigeants. Le monopole de l'équipe au Québec a diminué ses défis. Résultat, les attentes modestes sont devenues la norme.

Au bout du compte, l'épisode Cunneyworth aura peut-être eu un mérite: celui de sonner l'heure du réveil.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Si les espoirs de sauver cette saison sont presque nuls, il faut tout de même espérer que Geoff Molson en tirera des enseignements pour les années à venir.