En voyant les 21 000 spectateurs debout, applaudissant avec enthousiasme les joueurs du Canadien avant le match d'hier, il était difficile de ne pas reconnaître le succès de l'organisation.

Malgré de nombreuses déceptions au cours des dernières saisons, les amateurs demeurent fidèles à l'équipe. Aucune huée, aucune marque d'insatisfaction... jusqu'à ce que les Flames prennent l'avance 4-1 en deuxième période. Le public du Centre Bell est connaisseur, mais pas cynique.

Il est néanmoins temps pour le Canadien de hausser ses objectifs. Au plan sportif, Geoff Molson, Pierre Gauthier et Jacques Martin doivent conduire l'organisation à un niveau supérieur.

Ce constat ne diminue en rien les nombreuses réussites de l'organisation au cours des dernières années. Car il ne faut pas l'oublier: le Canadien revient de très loin. Pour bien le comprendre, un retour dans le passé s'impose.

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Dallas, mai 2003. Pierre Boivin, président du Canadien, cogne à la porte de Bob Gainey. Il vient lui proposer le poste de directeur général.

En préparant les hamburgers et la salade, les deux hommes discutent de l'avenir de l'équipe. Gainey est vêtu d'un short et d'un t-shirt. Cette ambiance décontractée ne les empêche pas d'aller au fond des choses. Ils savent que le Canadien n'est plus l'ombre de lui-même. Gainey expose alors à Boivin sa lecture de la situation.

«Tu sais, Pierre, il y a 30 équipes dans la Ligue nationale. Et six d'entre elles décident des orientations du circuit. Malheureusement, le Canadien ne fait plus partie de ce groupe depuis longtemps.»

En juin dernier, lorsqu'il a quitté son poste, l'ancien président du Canadien avait toujours en mémoire le dur constat dressé par Gainey ce jour-là.

Conscient de la côte à remonter, Gainey s'est installé à Montréal. Boivin avait déjà lancé son plan de relance et l'arrivée de l'ancien capitaine a renforcé les fondations. Son prestige a donné confiance au personnel en place et de la crédibilité à l'organisation.

Les résultats ont été rapides. Le propriétaire George Gillett a accédé au comité de direction de la LNH; Bob Gainey a présidé celui de la compétition; et des hauts gradés de l'équipe, dont Ray Lalonde, ont joué des rôles-clés au sein de la LNH.

Aujourd'hui, le Canadien fait partie des décideurs du circuit. Geoff Molson amorce à peine son règne, mais les succès financiers de l'organisation lui valent un accès direct au cénacle.

Le Canadien occupe le premier rang des 30 équipes dans les revenus aux guichets (oui, plus qu'à Toronto), les ventes corporatives, les revenus de restauration, la fréquentation du site web et des médias sociaux, et l'audience télé. Joli bilan.

Le défi de Geoff Molson sera de maintenir ces acquis. Il devra aussi préparer l'avenir. La croissance viendra du prochain contrat de télé et du secteur numérique. Ce sont là deux immenses chantiers. Mais pour se démarquer véritablement du duo Gillett-Boivin, qui a connu un succès remarquable dans le développement des affaires, une seule voie s'ouvre à Geoff Molson: ramener la Coupe Stanley à Montréal.

Pour cela, il devra maintenir une pression constante sur ses hommes de hockey. Cela ne signifie pas de s'immiscer dans leur gestion courante, ce qui serait une très mauvaise idée, mais de s'assurer que la priorité de l'organisation ne fait aucun doute: gagner le championnat, pas seulement faire bonne figure.

Dans tout le sport professionnel, il n'existe pas de plus dur défi. Le relever avec succès doit constituer l'objectif du Canadien. Et c'est au propriétaire-président de le rappeler avec insistance à ses principaux collaborateurs.

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Dans cette veine, le défi de Pierre Gauthier coule de source. C'est à lui de mettre sur pied un club capable d'atteindre l'objectif.

Gauthier est un homme charmant avec qui il est plaisant de discuter. Une conversation avec lui est immanquablement stimulante. Ses idées sur la société, ses choix de lecture, tout cela en fait un personnage unique dans l'univers du hockey. Mais il reste un administrateur très secret.

Tous sports confondus, je connais peu de DG aussi opaques. La saison dernière, il a été l'auteur d'une première dans les 25 dernières années d'histoire du Canadien en refusant de commenter avant plusieurs jours un échange significatif avec les Thrashers d'Atlanta.

Évidemment, les succès du Canadien aux guichets lui donnent le luxe du silence. S'il était à la barre des Panthers de la Floride, il agirait différemment.

Le peu d'intérêt de Gauthier pour la communication publique fait en sorte qu'on ne saisit pas toujours les motifs derrière ses choix stratégiques. C'est dommage dans une ville où le hockey est une passion.

Cela dit, si Gauthier bâtit une équipe capable de remporter la Coupe Stanley, il aura fourni la meilleure réponse à nos questions. C'est son défi.

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Jacques Martin a eu droit à une belle ovation avant le match d'hier en étant présenté à la foule. Cet accueil, bien mérité, lui a sûrement fait chaud au coeur.

Puisque le Canadien n'aligne pas de joueur vedette francophone, et compte tenu de la discrétion de Gauthier, l'entraîneur-chef est devenu le visage public de l'équipe. À force de l'entendre tous les jours à la radio et à la télévision, sa voix et son ton mesuré nous sont familiers.

Martin est un entraîneur de longue date. Il a tout vu ou presque dans le hockey. À son impressionnante feuille de route, il manque néanmoins une expérience: diriger une équipe en finale de la Coupe Stanley.

Pour Jacques Martin, tout comme pour Pierre Gauthier et Geoff Molson, le défi de la saison 2011-12 est là. Le travail ne manquera pas, comme en fait foi le match d'hier.

Photo: André Pichette, La Presse

Geoff Molson devra s'assurer que la priorité du Canadien ne fait aucun doute: gagner le championnat.