Jimmy Connors a marqué le tennis de son époque. Ses déclarations choc, son attitude agressive et son regard insolent n'ont laissé personne indifférent. Certains l'adoraient, d'autres le détestaient. Aujourd'hui, alors qu'il s'approche du cap de la soixantaine, le combatif Américain n'a rien perdu de son sens de la répartie.

«John McEnroe ne m'aurait jamais mis le bras autour du cou pour me consoler après m'avoir battu en finale, lance-t-il. Et je n'aurais jamais agi ainsi à son endroit. Les temps ont changé.»

C'était en milieu d'après-midi hier, quelques heures avant la cérémonie soulignant son accession au Temple de la renommée de la Coupe Rogers. Assis dans un fauteuil confortable, Connors avait le goût de jaser. Les années ont passé, mais son amour du tennis demeure vif. N'empêche qu'on le devine étonné des liens d'amitié entre les meilleurs joueurs de l'heure.

Aujourd'hui, malgré des rivalités intenses sur le terrain, Roger Federer apprécie Rafael Nadal, qui respecte lui-même Novak Djokovic, et ainsi de suite... Dans les années 70, les relations n'étaient pas au beau fixe entre les grands champions. Connors suscitait lui-même des haines féroces auprès de certains joueurs. Et le désir de démontrer sa supériorité sur ses rivaux lui fournissait une extraordinaire dose de motivation.

«Mes rivalités avec McEnroe, Lendl, Nastase, Borg, c'était du sérieux!, dit-il. Cette attitude m'a aidé à atteindre mon véritable potentiel. A-t-on besoin de la même approche aujourd'hui? Manifestement pas. Les gradins débordent, le jeu est d'un très haut niveau et les commanditaires sont au rendez-vous. Les joueurs ont trouvé d'autres façons d'entretenir leurs rivalités.»

Il est néanmoins clair que Connors regrette la pugnacité d'antan. Plus tôt cet été, à Wimbledon, il a provoqué un débat au sein du circuit professionnel en affirmant que les rivalités entre les joueurs d'aujourd'hui étaient «molles». Cela lui a valu plusieurs critiques, notamment de la part de Rafael Nadal.

À Wimbledon, Connors n'est pas allé jusqu'au bout de sa pensée. Dans ses propos, il existait en effet un grand non-dit: l'impact de l'argent sur l'attitude des joueurs. Hier, c'est en évoquant son association avec Andy Roddick, dont il a été l'entraîneur, qu'il a abordé la question. Même s'il assure être demeuré ami avec son ancien protégé, il constate que celui-ci n'avait pas assez soif de succès pour atteindre un niveau supérieur.

«Un joueur de ce niveau, vainqueur de l'Omnium des États-Unis, et dont la sécurité financière est assurée, doit montrer un engagement très fort pour accepter de travailler sur certains aspects de son jeu.

- L'argent a-t-il changé les choses?

- Oui, mais je ne suis pas contre! Je me suis battu toute ma carrière pour augmenter les bourses des joueurs. Un gars comme Nadal, qui joue toujours comme s'il n'avait pas un seul dollar en poche, c'est très spécial. Il donne son maximum. Sur le terrain, il oublie tout le reste. C'était aussi mon attitude. Voilà pourquoi j'aime tant le voir jouer.»

Connors ajoute ceci: «L'argent, c'est bon et mauvais. Chaque joueur doit déterminer son niveau de satisfaction. La réponse se trouve dans sa tête lors d'un match. Lorsque le score est de 4-4 au cinquième set, à quoi pense-t-il? Au fait qu'il n'a jamais eu autant de plaisir dans sa vie? Ou plutôt que son compte en banque est déjà bien rempli?»

Devinant s'aventurer en terrain glissant, Connors poursuit: «Ne dites pas que je critique l'argent dans le tennis aujourd'hui. Je suis content d'avoir contribué à cette augmentation des bourses. Mais je dis néanmoins que chaque athlète doit se situer dans cet environnement. Pas seulement les joueurs de tennis. C'est la même chose dans tous les sports.»

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L'argent a clairement modifié la dynamique du sport professionnel. Connors a raison de le mentionner. Mais dans tous les sports, les meilleurs du monde ne trouvent pas leur motivation dans l'ajout de zéros à leur compte bancaire. De toute façon, ils savent fort bien que s'ils obtiennent du succès, l'argent sera au rendez-vous.

Si Roger Federer continue de se battre à chaque tournoi, c'est dans l'espoir de consolider sa place comme meilleur joueur de l'histoire. Rafael Nadal et Novak Djokovic souhaitent lui ravir ce titre et cet espoir les anime. Au hockey, au football ou dans tout autre sport, c'est aussi la passion qui stimule les meilleurs, ceux dont on se souviendra longtemps après leur retraite.

Mais il y a les autres. Ceux qui possèdent les atouts pour connaître une carrière mémorable mais qui, par complaisance, n'exploiteront jamais tout leur talent. Lorsque Connors mentionne que chaque athlète doit faire son choix, il interpelle les vedettes de demain.

Qui peut aujourd'hui prédire avec certitude la direction que prendront les carrières de Caroline Wozniacki, Rory McIlroy ou PK Subban? Voilà des jeunes prometteurs qui arriveront, tôt ou tard, à un moment décisif de leur carrière. Celui où ils devront mesurer la force de leur engagement envers leur sport. Là-dessus, Connors a raison.

En revanche, je ne crois pas que les rivalités féroces entre athlètes, comme à son époque, soient nécessaires au dépassement de soi. On peut faire du sport autrement. En juin dernier, mon collègue Michel Marois a cité la formidable réponse que Nadal a servie à Connors à ce sujet: «Les jeunes qui suivent nos matchs nous voient nous battre férocement sur le court, mais ils nous voient aussi nous parler après les matchs. Et tant mieux s'ils font la même chose. C'est le contraire qui n'est pas une bonne façon de faire fonctionner le monde.»

Malgré tout le respect que je voue à Connors, un homme franc ayant le courage de ses opinions, je préfère l'approche de Nadal.

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Photo: PC

Jimmy Connors a été intronisé au Temple de la renommée de la Coupe Rogers, lundi.