Jean Charest devait dissiper le smog tenace qui minait peu à peu le projet de nouvel amphithéâtre.

D'une idée rassembleuse pour doter la capitale d'un édifice moderne, le nouveau Colisée s'est transformé en affaire d'État, renforçant la désaffection envers nos institutions, plaçant plusieurs élus devant des contradictions intenables et provoquant une crise politique.

Poursuivre dans cette voie aurait été mauvais pour le projet, mauvais pour la Ville de Québec et mauvais pour le Québec tout entier. On ne divise pas une nation pour cause d'amphithéâtre. Il était temps de marquer une pause et de prendre du recul.

Peu importe ses motivations (grogne parmi ses propres députés, opposition d'Amir Khadir, Parti québécois déjà mis K.-O. par l'affaire ou simple sagesse), M. Charest a pris la bonne décision.

En reportant à l'automne ce débat, le premier ministre ne compromet en rien la construction de l'édifice ni les chances de Québec d'obtenir une équipe de la Ligue nationale de hockey.

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Jeudi dernier, en commission parlementaire, M. Labeaume avait prédit des conséquences catastrophiques si l'accord de principe entre la Ville de Québec et Quebecor Media ne débouchait pas sur un contrat final le 7 septembre. Cet argument a perdu du poids au cours des derniers jours. Et cela, pour trois raisons.

D'abord, Quebecor Media a plus que jamais besoin d'une équipe de la LNH à Québec. C'est la seule façon dont elle rentabilisera TVA Sports, sa nouvelle chaîne spécialisée, dont le lancement a été annoncé la semaine dernière. À l'évidence, l'entreprise compte aussi sur le retour des Nordiques pour alimenter ses contenus multimédias.

Ensuite, l'attribution d'une concession de la LNH à Winnipeg modifie radicalement la donne. En quatre jours, la nouvelle équipe a vendu 13 000 abonnements saisonniers, même si elle exigeait des acheteurs un engagement minimal de trois ans.

Cet exploit démontre que la LNH peut réussir dans un marché canadien à bas revenus. À n'en pas douter, le succès de Winnipeg sera répété à Québec, si la ville obtient une concession. Du coup, le rêve de M. Péladeau devient plus accessible et son risque financier, moins aigu.

Enfin, la LNH n'envisagera pas le déménagement d'une franchise avant plusieurs mois. Si la Ville amorce la construction du nouveau Colisée, la LNH comprendra que Québec est sérieux. Le contrat de gestion peut très bien être signé plus tard à l'automne, dans un environnement législatif qui évitera la crise, et établi selon les voies habituelles.

Ironiquement, tous ces facteurs font en sorte que le maire Labeaume serait, aujourd'hui, en meilleure position pour négocier avec Quebecor Media qu'il y a deux mois. Si les termes de l'entente devaient être revus, il n'est pas dit que la Ville n'obtiendrait pas de meilleures conditions.

Dans ces circonstances, Quebecor Media aurait été malavisée d'invoquer la décision de M. Charest pour abandonner son projet. Un tel retournement de situation aurait indisposé plusieurs de ses clients dans la région de Québec.

Ceux-ci croient, avec raison, que Quebecor Media est formidablement positionnée pour obtenir une équipe de la LNH. Sans surprise, l'entreprise a indiqué, hier, qu'elle gardait le cap malgré sa déception.

D'autre part, la décision de M. Charest n'empêche pas la Ville de Québec d'entreprendre dès maintenant les travaux menant à l'ouverture du chantier.

Rappelons-le: l'entente de la Ville avec Quebecor Media n'est pas liée à la construction de l'édifice, mais à sa gestion. L'entreprise ne versera aucune somme à la Ville avant l'été 2015, soit dans quatre ans!

Le financement du nouvel amphithéâtre passe d'abord par un investissement de 200 millions du gouvernement du Québec. La Ville et le groupe «J'ai ma place» ajoutent les 200 millions manquants. La contribution éventuelle de Quebecor Media permettra à la Ville de diminuer son propre investissement.

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Après Laurent Lessard vendredi, le premier ministre Charest a levé le voile sur les plans du gouvernement dans ce dossier.

Des changements législatifs sont envisagés pour permettre aux villes de faire monter les enchères dans des situations semblables.

L'idée de mettre à l'abri un contrat en particulier, une stratégie qui manque de transparence, semble abandonnée. «Nous devrons adapter nos lois à de nouvelles réalités et tout le monde ne s'en portera que mieux», a dit M. Charest.

M. Labeaume ne l'admettra sans doute pas, mais cette façon de procéder lui sera profitable. Même si l'accord avait été scellé dans la loi omnibus de fin de session, Denis de Belleval aurait pu poursuivre ses recours juridiques, cette fois sur le terrain du droit constitutionnel.

Cette perspective n'aurait certes pas rassuré la Ligue nationale de hockey, déjà aux prises avec une menace semblable à Phoenix, où l'avenir des Coyotes demeure en suspens.

Il n'en reste pas moins que, pour le maire de Québec, tous ces événements constituent un choc. En commission parlementaire, il a déclaré: «Je ne pensais jamais - honnêtement, c'est un peu surnaturel -, je ne pensais jamais me ramasser ici. [...] C'est bête, hein, mais on pensait que c'était simple.»

Non, rien n'est jamais simple lorsque des fonds publics sont, ultimement, appelés à subventionner l'industrie du sport professionnel, si jalouse de ses secrets.