La soirée semblait avoir mal commencé. Enfin, « mal commencé » pour ceux qui veulent voir un contrepoids aux singeries de Donald Trump à la Maison-Blanche, singeries avalisées par le Parti républicain, son parti, qui dominait depuis deux ans les deux chambres du Congrès.

La soirée semblait donc avoir mal commencé. Le vote républicain semblait sortir plus fort que prévu. Celui des démocrates, plus faiblement que prévu. La vague anticipée était décrite comme une vaguelette.

Puis, la soirée est devenue de moins en moins jeune et de plus en plus bleue, du moins pour la Chambre des représentants. Pas de tsunami démocrate, mais quelque chose comme... comme une sorte de vague.

Le New York Times a annoncé que selon ses estimations, les démocrates avaient un avantage de 9,2 % dans le vote populaire. Juste avant 23 h, on a fait le décompte : 15 sièges de la Chambre étaient passés des républicains aux démocrates. Il en fallait 23 à arracher aux républicains pour gagner. Et au moment d'envoyer cette chronique, les démocrates avaient le « momentum » (qu'a perdu le Canadien quelque part pendant son match à New York, hier soir, dans une illustration de l'importance dudit « momentum »...)

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Pour ceux qui veulent du changement, ce gain à la Chambre est bien sûr positif. Mais on regarde les chiffres et il n'y a pas de coup de tonnerre.

La courte défaite des républicains à la Chambre des représentants - qui s'explique peut-être par les effets du gerrymandering, ce découpage absurde des circonscriptions électorales - n'incitera pas Donald Trump à cesser de se comporter comme un troll.

Surtout qu'au Sénat, les républicains ont résisté. Ils étaient même en passe d'améliorer leur majorité, hier soir ! Contrôler le Sénat, c'est peindre l'avenir avec un pinceau ultraconservateur : c'est le Sénat qui autorise les nominations du président.

Dont ses choix de juges.

Dont les juges de la Cour suprême...

Bref, si Donald Trump doit nommer d'ici 2020 un autre juge à la Cour suprême, il pourra nommer le juriste le plus controversé, le plus conservateur et le plus anti-avortement imaginable. Et son parti va le confirmer avec moins de difficulté que ne le fut ce « bon » juge Kavanaugh...

Je souligne que les trois plus vieux juges de la Cour suprême ont 70, 80 et 85 ans. Oui, l'ultra-droite américaine va finir par la renverser, cette décision Roe c. Wade, qui permet aux femmes de se faire avorter légalement depuis 1973 !

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Mais les démocrates contrôlent la Chambre. Ce n'est pas rien. C'est un contrepoids. Ça permet de lancer des enquêtes. Par exemple, sur les secrets financiers du président : avec qui a-t-il des liens financiers, à qui doit-il de l'argent, qui lui en a donné au fil des années ? Autant de questions d'intérêt public - quand on est POTUS - auxquelles le Parti républicain n'a pas voulu chercher de réponses, depuis deux ans...

C'est aussi de la Chambre que les procédures de destitution commencent... Mais c'est au Sénat qu'elles sont tranchées. N'espérez pas trop fort un impeachment de Donald Trump.

Il y avait des courses qui avaient valeur de symboles pour les progressistes. On pense au télégénique Beto O'Rourke, qui défiait le sénateur Ted Cruz, au Texas ; à Amy McGrath, une ex-pilote de chasse démocrate qui tentait de s'imposer dans les campagnes du Kentucky, et à Andrew Gillum, qui avait des chances de devenir le premier Noir à accéder au poste de gouverneur de la Floride...

Zéro en trois pour les démocrates dans ces courses symboliques.

Parlant de symboles, j'oubliais le représentant républicain Steve King, du 4e district de l'Iowa. Un ami de l'extrême droite qui répète tous les thèmes chers aux néonazis américains, si infréquentable que même son parti commence à le dénoncer publiquement...

Au moment d'écrire ces lignes - à 23 h 50 -, il était toujours dans la course. En Iowa, un ami des nazis n'est pas facilement battu, qu'on se le dise...

Mais dans ce vaste pays dont la vie politique et sociale est d'une complexité parfois ahurissante, dans ce pays de paradoxes consternants, les causes progressistes ont également fait du chemin hier soir, grâce aux ballot initiatives, ces référendums où des enjeux sont soumis à la volonté populaire.

Au Massachusetts, les citoyens ont choisi de donner des protections juridiques aux personnes transgenres... À une époque où l'administration Trump veut leur retirer leurs droits civiques.

En Floride, un État « law and order » s'il en est un - vous pouvez tuer quelqu'un si vous prouvez que vous aviez peur pour votre vie -, les électeurs ont choisi de larguer les obstacles qui se dressent entre les anciens prisonniers et le droit de vote, une mesure progressiste.

Des augmentations généreuses du salaire minimum en Arkansas et au Missouri étaient également en voie d'être adoptées, dans ces États conservateurs.

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Le prochain rendez-vous électoral pour ce pays qui a une importance démesurée dans le monde (je finis d'écrire sur les élections d'un pays étranger quelques minutes après minuit !) aura lieu en 2020.

Si Donald Trump songe à se présenter pour un second mandat lors des élections de 2020, il peut regarder les résultats d'hier et se dire qu'il a - encore - de bonnes chances de l'emporter.

Les Américains, hier soir, ne l'ont pas sévèrement puni pour ces deux ans de singeries.

Photo Butch Dill, Associated Press

« La soirée d'hier semblait avoir mal commencé. Le vote républicain semblait sortir plus fort que prévu », écrit notre chroniqueur.