Rosalie Thibault est hospitalisée à l'hôpital Sainte-Justine et elle est très fâchée.

Oui, bon, il y a la leucémie qui fait des siennes. Récidive, deuxième greffe de moelle osseuse depuis 2016, nouvelle ronde de chimio, les cheveux qui vont bientôt recommencer à tomber et sa technique en services infirmiers qu'elle a dû mettre sur la glace...

Mais ce qui irritait Rosalie hier, dans sa chambre de Sainte-Justine, c'est qu'elle ne pourra pas voter, le 1er octobre.

Rosalie, 18 ans, aime beaucoup, beaucoup, beaucoup la politique, et ces 42es élections générales devaient être ses premières. Rosalie avait très, très, très hâte d'aller voter.

Mais elle ne pourra pas voter : elle a contracté une double infection à l'E. coli et au C. difficile, probablement à cause de son système immunitaire à plat, gracieuseté des traitements.

« Sans cette infection, j'aurais probablement pu avoir un petit congé de trois ou quatre heures, pour aller voter. Mais là, je suis en isolement dans ma chambre. »

En isolement pour son propre bien (elle pourrait choper un virus) et celui des autres (elle est hautement contagieuse). Donc, isolement, antibiotiques, et tout et tout.

« Si j'avais su avant le 17 septembre que je ne pourrais pas sortir de ma chambre pour aller voter, le Directeur général des élections aurait pu venir me faire voter ici. Ça se fait. Mais il fallait les avertir avant le 17 septembre... »

- Rosalie Thibault

Et elle a su pour l'infection le 21 septembre. Tsé, quand tu n'es pas chanceuse...

C'est l'ancienne prof de maths de Rosalie à Sainte-Justine - l'hôpital compte quelques enseignants - qui m'a écrit. Marie-Andrée Mercier espérait que le Directeur général des élections (DGEQ) se ravise, elle se disait que si le cas de cette jeune femme qui veut ardemment voter était médiatisé, peut-être qu'il pourrait arranger quelque chose...

J'ai contacté le DGEQ. Réponse : c'est la loi qui détermine la date butoir pour faire son X hors d'un bureau de vote. Et cette année, cette date butoir est le 17 septembre. Donc, à défaut d'un changement législatif, par définition impossible avant lundi, ça n'arrivera donc pas... Rien à faire.

« Depuis que je suis jeune, je veux voter. Depuis que j'ai 11 ans, je tripe sur la politique. J'ai toujours regardé les débats parlementaires à Ottawa et à Québec, les débats des chefs... Et il y a eu Jack Layton, aussi... »

- Rosalie Thibault

En entendant le nom de l'ex-chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), la mère de Rosalie a difficilement étouffé un rire. Marie-Soleil Germain, assise sur le lit d'appoint de la chambre - sur lequel elle dort chaque soir -, a finalement éclaté d'un fou rire, auquel sa fille s'est jointe...

Je ne comprenais pas : quoi, Jack Layton ?

- Ben, je tripais sur Jack Layton dans l'élection de 2011, m'a répondu Rosalie. Je collectionnais tous les articles de journaux qui parlaient de Jack Layton.

- En 2011 ? Mais tu avais seulement 11 ans !

- Je sais !

Rosalie me raconte être devenue accro de la politique grâce à son grand-père, feu Yvon Germain. M. Germain était un souverainiste convaincu dont la passion pour la politique a contaminé Rosalie, sans la transformer en péquiste ou en bloquiste.

- Donc, laisse-moi deviner, Rosalie, lundi, tu aurais voté pour...

- Québec solidaire !

Quand elle ne se fait pas traiter pour une leucémie ou une infection sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Rosalie habite Granby, où Anne-Sophie Legault brigue les suffrages pour Québec solidaire. C'est pour Mme Legault que Rosalie voterait, si elle pouvait sortir de l'hôpital, lundi...

Pourquoi Québec solidaire ?

Environnement, égalité, justice sociale, me répond Rosalie, mais surtout pour l'environnement : « Ils regardent notre avenir, les autres regardent plus l'économie... »

Je lui fais remarquer que dans Granby, le député caquiste sortant François Bonnardel est un bon gars doublé d'un bon parlementaire, du genre qui ne fait pas rougir la visite...

Rosalie le sait bien, mais, bon, un peu de jeunesse ne ferait pas de mal non plus. Puis, elle s'est mise à me vanter la co-porte-parole de QS en parlant de sa performance dans les débats télévisés : « C'était un combat de coqs, mais il n'y avait que Manon qui était posée... »

Je lui ai demandé si elle avait suivi ces derniers jours le feuilleton des soupçons marxistes-communistes pesant sur la leader, euh, sur la co-porte-parole, de Québec solidaire...

Pas du tout, m'a répondu Rosalie.

C'est là que Marie-Andrée et Marie-Soleil sont parties à rire.

Marie-Andrée : « Rosalie a été un peu occupée, ces derniers jours. »

Marie-Soleil : « Occupée entre le lit et la salle de bains... »

Ah, oui : M. Coli et M. Difficile, ça te réveille des intestins, faut jamais être loin du petit coin...

Rosalie revient sur les élections du 1er octobre : « J'envie les gens qui vont pouvoir voter lundi. J'ai des amis qui me disent qu'ils n'iront pas, parce qu'ils connaissent pas les programmes, parce qu'ils savent pas pour qui voter... Je leur dis : "Heille, ça coûte rien de t'informer, au pire, fais la Boussole électorale ! Pis ça prend cinq minutes, aller voter..." »

Sur le mur, face à son lit, il y a un tout petit téléviseur. C'est là-dessus « et sur Facebook » que Rosalie va suivre le déroulement des 42es élections générales de l'histoire du Québec, élections qui ne bénéficieront pas de son X...

Mais il y a quand même un tout petit espoir que Rosalie puisse voter lundi.

Disons que les antibiotiques se mettent à faire effet, disons que Rosalie, lundi, n'est pas aussi affaiblie, disons que Doc Duval décide, fort de son grand savoir, que ça se pourrait, un petit congé de trois ou quatre heures pour aller voter...

Rosalie : « On va savoir juste lundi. »

Sa maman : « C'est pas évident, quand même : c'est une heure et demie pour y aller, une heure et demie pour revenir. Faut jamais être trop loin d'une salle de bains... »

Rosalie : « Pas grave, si j'ai la permission, je vais mettre une couche ! »

Et si tu ne votes pas dans celles-là, Rosalie, ne t'en fais pas : les élections fédérales s'en viennent.

Dans un an, le 21 octobre 2019.

Tu vas voter à celles-là.

J'en suis sûr.