Le soir du 20 septembre 2009, il pleuvait très fort sur la banlieue de St. Louis. Si fort qu'Henry Davis a raté sa sortie d'autoroute. Si fort qu'il n'y voyait plus rien, il a décidé d'immobiliser son auto en bordure de la route pour appeler son fils.

«C'est là qu'une voiture de police s'est garée derrière moi», m'a-t-il raconté en entrevue téléphonique.

M. Davis a baissé la glace de sa portière et il n'a eu le temps de rien dire: le policier lui a arraché son téléphone des mains et l'a sorti du véhicule manu militari.

M. Davis savait à peine où il était. Il était à Ferguson, cette banlieue sans histoire qui est devenue, depuis la mort de Michael Brown sous les balles d'un policier le 9 août dernier, l'épicentre des tensions raciales aux États-Unis.

«Mais qu'est-ce que j'ai fait?, a réussi à bredouiller le soudeur, qui avait 48 ans à l'époque.

- Tu es recherché sur mandat», a rétorqué le policier.

Henry Davis a protesté, il n'avait jamais eu de problème avec la loi. Comment un mandat d'arrêt avait-il pu être lancé contre lui?

Au poste de police de Ferguson, au 222, South Florissant, l'imbroglio a été rapidement démêlé. «Ils cherchaient un autre Henry Davis!», dit-il, encore interloqué.

On aurait dû, à ce moment-là, au milieu de la nuit, libérer M. Davis sur le champ. «Mais ils ont décidé de me mettre en cellule. J'ignore encore pourquoi.»

Il a protesté quand il a vu que c'était une cellule à un seul lit, déjà occupé par un détenu endormi. «Je leur ai dit qu'il était 3h du matin et j'ai réclamé un matelas; il y en avait, ils étaient près de la cellule.»

C'est là que tout a déboulé, me dit Henry Davis. Il jure n'avoir rien dit pour provoquer les agents, mais en quelques secondes, ils étaient quatre sur lui, en train de le rosser. Il affirme avoir été frappé d'un coup de pied par un des agents, pendant qu'une policière lui retenait les bras, alors qu'il était menotté. C'est ce qu'il a raconté au tribunal, dans une poursuite civile.

Henry Davis s'est évanoui. Il s'est réveillé à l'hôpital, où il a refusé tout traitement: «J'ai dit aux médecins que je voulais une preuve de mes blessures, je voulais qu'ils me prennent en photo. Mais un policier l'a interdit au médecin.»

On l'a ramené à la prison, où il a passé plusieurs jours, avant d'être libéré, moyennant une caution de 1500$.

On l'a aussi accusé d'avoir détruit de la propriété municipale. Quatre chefs d'accusation.

Pourquoi?

Tenez-vous bien...

Pour avoir saigné sur les uniformes des quatre policiers qui l'ont tabassé dans cette cellule. Quatre flics, quatre uniformes, quatre accusations d'avoir endommagé des uniformes appartenant à la Ville de Ferguson.

Pas d'autres accusations, juste ça: avoir saigné sur des pantalons et des chemises de flics, alors qu'il était menotté.

Son avocat, Jim Schottel, a déposé une poursuite civile, arguant que les droits de son client avaient été bafoués. Les agents impliqués se sont contredits et ont même dit que Henry Davis n'avait pas souillé leurs uniformes avec son sang. Le juge fédéral a tout de même débouté M. Davis, décrétant que le parjure des policiers à propos de la «propriété endommagée» était trop mineur pour avoir bafoué les droits du soudeur.

L'avocat Schottel a déposé un appel de cette décision. Mince consolation: les accusations criminelles, devant les témoignages loufoques des flics dans le procès civil, ont été abandonnées.

Sauf qu'un an après sa mésaventure dans une cellule de la police de Ferguson, Henry Davis a été accusé d'avoir agressé un des policiers.

Oui, oui, vous avez bien lu: on l'a accusé d'avoir endommagé la propriété de la Ville de Ferguson AVANT de l'accuser d'avoir agressé un des policiers. Hasard total, sans doute: cette accusation a été déposée peu après que M. Davis eut lancé sa poursuite civile...

Cette accusation d'agression a été retirée peu après le témoignage des flics dans le procès civil.

M. Davis, lui, a soigné pendant des mois les séquelles d'une commotion cérébrale. Il a déménagé, changé d'État. N'eût été la mort de Michael Brown, son histoire n'aurait probablement jamais été rendue publique.

«J'ai un job, j'ai pu me défendre en cour. La plupart des pauvres de Ferguson auraient été heureux de simplement sortir de prison», m'a expliqué Henry Davis.

Je relis les notes de mon entrevue avec Henry Davis, pendant que les médias américains évoquent une histoire troublante: celle d'un flic autoroutier de la Californie qui roue de coups une femme, en bordure d'une route. Marlene Pinnock, 51 ans, est étendue par terre, l'agent est agenouillé sur elle. Et il multiplie les coups de poing sur la femme. Le policier a été suspendu.

La différence entre les policiers qui ont tabassé Henry Davis et ce policier californien?

Le policier californien a été filmé à son insu par un passant.

Et c'est ainsi qu'en matière de brutalité policière, si aucune bande vidéo de l'action litigieuse n'existe, bonne chance pour prouver quoi que ce soit. C'est votre parole contre celle du policier.

À ce qu'on sache, la mort de Michael Brown, le 9 août, n'a pas été filmée. Ce sera donc probablement la parole de l'agent Darren Wilson contre celle de Dorian Johnson, l'ami de Michael Brown, qui a un casier judiciaire. Il a été accusé d'avoir menti à un policier.

D'où ma prédiction: Darren Wilson, membre d'un corps de police qui n'a pas hésité à mentir pour nuire à Henry Davis, ne sera jamais accusé.

Oh, j'oubliais...

Une des policières que M. Davis accuse de l'avoir battu, dans cette cellule, en cette nuit de septembre 2009, s'appelle Kim Tihen. Elle a quitté la police de Ferguson en 2012, pour un nouveau job.

Elle a été élue au conseil municipal de la Ville de Ferguson.