En regardant le témoignage de Pierre Bibeau à la commission Charbonneau, j'avais évidemment du mal à croire les explications confuses de cet apparatchik libéral. Mais surtout, je ne pouvais m'empêcher de penser à un autre libéral notoire qui se retrouve sur le gril ces jours-ci: Joël Gauthier.

La Presse a évoqué ces derniers jours le cas de M. Gauthier, PDG de l'Agence métropolitaine de transport de 2003 à 2012. Nos propres informations ont ajouté aux allégations de l'escouade Marteau, qui cible la gestion de M. Gauthier à l'AMT dans le cadre d'une enquête criminelle.

Joël Gauthier est lui aussi un apparatchik libéral, quelqu'un qui a grandi dans le sérail de ce parti. Plus jeune que M. Bibeau, il fut un temps l'un de ses protégés au PLQ.

Et aujourd'hui, tous deux se retrouvent au coeur d'histoires de financement politique illégal, dans des affaires stupéfiantes de similitudes.

La police croit que M. Gauthier faisait du financement pour le PLQ quand il était PDG de l'AMT, activité incompatible quand on dirige une société d'État. La police croit qu'il a aussi remboursé en argent comptant un employé de l'AMT, Michel Fortier (dans son bureau de l'AMT), qui avait utilisé sa femme comme prête-nom pour faire un don au PLQ. Les flics pensent aussi que M. Gauthier faisait déposer par son adjointe de l'argent comptant sur son compte bancaire (ce qui appelle bien sûr la question: d'où venait ce fric?).

M. Bibeau n'est pas visé par une enquête criminelle. Mais Lino Zambito, entrepreneur en construction de Boisbriand qui s'est mis à table devant la juge Charbonneau, a raconté qu'il avait remis 30 000$ à M. Bibeau, à ses bureaux de VP de Loto-Québec, en espèces. Somme qui était destinée au PLQ.

Les allégations de manipulations d'argent comptant par MM. Gauthier et Bibeau sont survenues de façon distincte. Mais les dates avancées par les témoins sont contemporaines, on parle des mêmes époques: 2008 pour les 3000$ remboursés comptant par M. Gauthier à son employé M. Fortier; 2009 pour les 30 000$ donnés comptant par M. Zambito à M. Bibeau.

Pierre Bibeau, Joël Gauthier: deux apparatchiks du Parti libéral du Québec, chacun parachuté à un poste de gestion de société d'État et tous deux montrés du doigt dans des histoires de financement politique illégal au profit du PLQ alors qu'ils étaient dans les bureaux de leurs sociétés d'État respectives. Ouf.

Je veux être de bonne foi. Je ne veux pas me substituer aux tribunaux. Je ne suis pas un juge. Mais je ne suis pas totalement naïf non plus.

Voici deux hommes qui sont soupçonnés d'avoir fait la même chose, chacun de leur bord, à peu près en même temps. Ils sont issus du même sérail. Il ne faut pas être parano pour penser que l'État a été utilisé par le PLQ pour donner de «belles jobs» à des lieutenants qui, en guise de «toute autre tâche connexe», acheminaient du fric vers le PLQ.

Autre similitude entre MM. Bibeau et Gauthier: une partie du fric qu'ils sont soupçonnés d'avoir illégalement sollicité pour le PLQ était destiné à des activités de financement parrainées par Line Beauchamp, députée et ministre libérale. Mme Beauchamp, on le sait, fut la conjointe de M. Bibeau.

On savait qu'il existait une proximité incestueuse entre le politique et la business, entre l'État et les firmes de génie. Des firmes de génie qui embauchent d'anciens organisateurs politiques pour le «développement des affaires», voilà l'illustration parfaite du concept des portes tournantes, où quelqu'un sert l'État un jour et sert les intérêts privés le lendemain, en se collant à l'État.

Marc-Yvan Côté, qui témoigne ces jours-ci devant la juge Charbonneau, n'est que l'exemple le plus enrageant de cet opportunisme dont on voit aujourd'hui les fruits pourris.

Il y a une dizaine de jours, j'ai signé des chroniques basées sur des documents internes de l'AMT, notamment des courriels envoyés et reçus par Joël Gauthier, quand il était PDG de l'Agence. Ces courriels montrent une proximité hallucinante entre un homme qui dirigeait une société d'État et des VP de sociétés privées qui avaient tout à gagner à téter, courtiser et faire des cadeaux à M. Gauthier.

M. Gauthier se défend notamment en disant que ces VP - Yanick Bouchard, de Genivar; Benoît Savard, de Dessau - étaient ses «amis». Sans doute est-ce vrai. Mais on se demande où commence l'amitié et où finit la charge publique quand M. Gauthier - selon les déclarations sous serment de l'UPAC - est mis au courant par un subalterne (l'ingénieur de l'AMT Jean Hardy) des scores respectifs des firmes de génie ayant soumis des dossiers à un appel d'offres encore en cours.

Quand on voit la proximité et même l'amitié du PDG Gauthier avec des VP de firmes de génie, quand on sait que ces firmes ont participé à du financement illégal pour le PLQ, on peut se poser la question: Joël Gauthier a-t-il informé ses «amis» du déroulement d'appels d'offres de l'AMT, avant leur dénouement?

On savait donc qu'il y avait une proximité systémique entre l'État et les intérêts privés. Maintenant que les histoires d'argent comptant qui auraient impliqué M. Bibeau et M. Gauthier se recoupent, on peut se demander s'il n'y avait pas une autre couche de proximité malsaine en jeu: celle de l'utilisation de postes-clés dans des sociétés d'État au profit du Parti libéral du Québec.

Ce qui me pousse à poser une question: qui a nommé MM. Bibeau et Gauthier à Loto-Québec et à l'AMT, en 2003?

Réponse: le Conseil des ministres, dirigé par Jean Charest.

Ce qui soulève une question évidente: va-t-on un jour l'entendre témoigner à la commission Charbonneau?