«Papa, on regarde-ti les Zolympiques?»
Ça fait 100 ans que je n'ai pas regardé les JO à la télé. Lui, il découvre les Jeux. Tout est nouveau: les disciplines bizarres, les pays, les médailles. Il est tellement émerveillé qu'il ne voit pas que, télévisuellement parlant, les Jeux olympiques, ça existe aussi pour combler le temps qu'on met entre des pubs de Tide.
Alors on regarde les JO, bien calés dans le divan, avec des doudous, par un matin récent.
Curling...
«J'aime pas vraiment ça, le curling, qu'il dit.
- Non? T'aimes quoi?
- Le chloupeschtyle.
- Le quoi?
- Le CHLOU-PE-SCH-TY-LE-EUH», qu'il répète en fessant sur chaque syllabe, comme si j'étais sourd ou niaiseux.
J'ai fini par comprendre qu'il s'agit de slopestyle, une discipline de surf des neiges, le genre de sport fait sur mesure pour la télévision.
***
Avec TVA Sports, Radio-Canada et CBC, on ne manque rien, ou presque. Alors on zappe, on zappe. Et mon fils commente, mon fils observe et mon fils a des questions qui tuent, surtout.
Comme en patinage artistique:
«Quand ils tournent sur eux-mêmes: sont pas étourdis?»
Comme en skeleton: une Américaine a un casque avec une tête d'aigle. Une Canadienne (je crois), une tête de mort. Suit une Russe, avec un casque blanc, juste blanc, blanc comme la neige.
«Pourquoi elle a pas un casque menaçant, elle?»
Une pub: c'est la patineuse Joannie Rochette dans une pub de Visa. Et là, sur un ton solennel, l'héritier me dit, comme s'il m'apprenait un fait tout à fait incroyablement nouveau:
«C'est Joannie Rochette.
- Oui. Tu la connais?
- Ben oui!
- C'est qui?
- C'est la voix de l'avion rose dans Les avions!»
Pour ceux qui l'ignorent, Les avions est un film d'animation. Il y a un avion rose. L'avion rose parle. C'est notre olympique Joannie qui fait la voix de l'avion rose qui parle dans la version française du film de Disney.
«Joannie Rochette, elle a fait quoi d'autre?
- Je sais pas.»
Constat: quand t'as 8 ans, tu pars de rien, tout est à faire, tout est à apprendre. Forcément, tout est merveilleux...
Patinage artistique, encore. Le Canadien Patrick Chan se mesure à un Japonais que je ne vais pas googler pour avoir l'air de me rappeler de son nom tout en teintes de U...
J'étais perdu sur Twitter, écoutant distraitement Alain Goldberg, ce trésor national, s'extasier sur les demi-boucles et des salchows (OK, j'ai googlé, ce coup-là) du Japonais. Puis, la bombe sort de la bouche de mon gars:
«Regarde, papa, c'est un gars, mais il ressemble à une fille, on dirait.
- Han, quoi?
- Ben, tu vois comme il est habillé?»
J'ai beau élever mon fils dans l'étreinte de la différence sous toutes ses formes, je ne sais pas quoi dire d'autre: ce costume a en effet une sensibilité féminine. Il ne se moque pas. Il est juste intrigué.
Moi, comme un con, je fais diversion - c'est samedi matin, je lui expliquerai certaines choses plus tard: «OH, WOW! REGARDE LE BEAU LUTZ!»
Zap.
CBC nous montre un mini-documentaire sur les quatre copains qui composent l'équipe de curling du Canada, vêtus de gris et de noir. Ils sont commandités par Tim Hortons. On voit les gars au gym, soulevant des haltères. On voit une image d'archives, noir et blanc, l'époque où les skippers fumaient la cigarette en jouant...
«Nous sommes maintenant, dit le capitaine sur un ton solennel, des athlètes à part entière...»
Euh, oui. Bon, peut-être.
Zap.
Radio-Can évoque P.K. Subban et Carey Price, d'Équipe Canada, les deux préférés de mon fils.
«Sais-tu pourquoi, me demande-t-il, Carey Price est si bon?
- Euh...
- Parce qu'il se met en carré devant le but.
- Ah, ah, bonne blague...
- Tu comprends? Carey, carré...»
Une pub de Tide. Mon fils fredonne le slogan avant que le slogan ne soit même prononcé. La pub conditionne, la pub fonctionne. Mais mon fils est à des années de faire la lessive, malheureusement...
Retour au curling. Canada-Norvège.
Avez-vous vu les pantalons des gars de la Norvège, au curling? OH, WOW! C'est quelque chose. C'est magnifique. De l'art. Un pied de nez au beige ambiant. Une constellation d'imprimés colorés sur fond noir. On sent l'inspiration de Lady Gaga.
«J'aime pas ben, ben ça, le curling, me dit l'héritier.
- Je t'ai inscrit au curling.
- Ah, ah! Bonne blague, qu'il me dit, sur un ton d'ado.
- Ben là, c'est vrai! Je veux que tu deviennes un champion olympique, pis que tu me fasses vivre. Mais bon, t'as fréquenté un CPE, alors je sais que les odds sont contre nous...»
Il s'empare d'un coussin d'un fauteuil du salon, celui en cuirette. Il s'élance tête première dans le couloir.
«Je fais du skeleton!»
Mon fils glisse sur un mètre à peine. Maudite cuirette cheap...
C'est ce que je voulais vous dire: j'aime ça, les JO, finalement.