Le courriel est entré mardi matin, 11 h 16. Titre: Mon ami Alain, mort hier comme un itinérant.

Et ça commençait : J'aimerais te parler d'Alain qui est mort hier matin, tué par la police. J'aimerais te parler de lui, de lui avant sa maladie. J'ai travaillé plus de dix ans avec lui, avec les enfants handicapés.

Il y avait d'autres trucs dans le courriel de cet ami, que nous appellerons Mario. Et il y avait cette phrase: Alain qui est mort hier ne peut pas être réduit à un fait divers.

Je suis allé rencontrer Mario. Il m'a raconté Alain. Il m'a raconté ce qu'il y avait sous la surface de ce fait divers.

Les étés au camp Papillon, à Saint-Alphonse-Rodriguez. Comme tous ceux qui travaillent auprès des enfants handicapés, Alain Magloire aimait ces petits poqués. Et il avait ce don rare, celui de connecter avec les multihandicapés, les plus poqués, de corps et d'esprit.

«Tu sais, ceux qui sont «pas de son, pas d'image»? Ceux-là. Il était capable d'aller les chercher, eux aussi. C'est pas tout le monde qui pouvait travailler avec ces enfants-là.»

Les enfants, tous les enfants du camp Papillon, et du centre de répit du centre-ville, autour des années 90, étaient fous de lui.

«Tout le monde l'adorait. Quand il entrait dans une pièce, les enfants sautaient sur lui. Les parents l'adoraient...»

J'appelle à la Société pour les enfants handicapés du Québec, qui administre le camp Papillon. Chantale Théroux se souvient encore de «notre» Alain, malgré le passage des années.

«Alain, c'était juste de l'amour. Les parents appelaient, ils voulaient tous que ce soit lui qui s'occupe de leur enfant...»

J'allais dire un gars normal. Mais non, pas un gars normal, justement! Un gars hors normes, justement: charisme, intelligence, charme. Beau comme un dieu.

Un gars promis au proverbial brillant avenir...

Mme Théroux: «Il était venu nous voir l'an passé, au bureau. Je savais qu'il avait des problèmes, je savais qu'il habitait un petit logement.»

Je cite le courriel de Mario, encore: Toutes les filles voulaient Alain, tous les gars voulaient être Alain. Il avait deux filles, une vraie bonne famille. Une blonde extraordinaire. Et puis il y a eu la maladie, la dope, douce au début...

Autour de 2004, il y aurait eu quelque chose comme un mauvais trip. Un mauvais trip permanent. À partir de là, ça n'a plus été. Alain n'a plus été le même, je veux dire.

On dit que chez certains individus, la drogue peut déclencher des troubles mentaux. Dans le cas d'Alain, c'est lui-même qui en convenait. En 2007, il a fait un de ces voyages initiatiques en Afrique, pour chercheurs de spiritualité. Et sur le site de l'agence, après, il a écrit un long monologue sans paragraphes.

J'en cite un bout : «L'utilisation de drogues récréatives (marijuana, ecstasy, speed, cocaïne) m'ont ouvert la porte vers des portes sensorielles qui m'ont conduit vers des «troubles psychiatriques», comme cela arrive souvent avec les drogues...»

Pourquoi un homme développe-t-il des troubles psychiatriques? Dope ou pas? C'est un mystère.

Ce qui ne l'est pas, c'est que ces troubles ont brisé la vie d'Alain Magloire, l'ont mis en marge de la société, de sa famille.

Premier lundi ensoleillé de février. On sait que les policiers ont d'abord intercepté Alain Magloire, marteau en main, sur Saint-Denis. Ils l'ont suivi, tentant de l'arrêter, de le raisonner, jusqu'à la rue Berri, à l'est, devant le terminus d'autobus.

Il y a eu des coups de feu. Et Alain Magloire est mort.

On dira que ça relance le débat sur l'utilisation de la force par les flics. Soit.

Il serait peut-être temps de faire le débat sur la santé mentale et sur cet immense hôpital psychiatrique sans nom qu'est le centre-ville.

Mario voulait que je sache que son ami était davantage qu'un fait divers. Chantale Théroux aussi: «Ce n'était pas qu'un gars avec un marteau.» Et Mme Théroux ajoute: «Plusieurs des enfants dont Alain s'occupait sont morts, depuis. Là-haut, je vous le dis, ils doivent tous être après lui.»