Des sculptures, des tableaux. Ça tire sur le noir, au sens propre et au sens figuré. Dehors, c'est moche, ça tire sur le gris. Fin de l'automne, neige molle du début de décembre.

L'artiste est là, dans la galerie, sur Saint-Laurent, pas loin du viaduc. Tout ça, ces oeuvres sombres, c'est de lui.

Il s'étonne d'être tombé dans la sculpture, lui qui n'en avait pour ainsi dire jamais fait. En 30 ans de carrière, son truc, c'était le dessin, la peinture. L'image.

Éric Godin s'est fait connaître comme caricaturiste au Voir, jadis, à l'époque de Barbe, Dutrizac, Martineau, Boulanger et compagnie. Parallèlement, il dessinait pour la télé, l'édition, le théâtre, la pub, le web. Il peignait des tableaux. Godin, superstar des images.

Mais la sculpture? Jamais.

«Je me suis beaucoup promené dans les bois, m'explique-t-il. Les branches, la terre, tout ça. C'est organique.»

Il laisse sa voix traîner, peut-être pense-t-il à ces bois, autour de chez lui, à la campagne. Ces bois, ils sont évoqués sur ce tableau qui montre une lignée d'arbres.

En 2009, un tsunami a frappé Éric Godin. Son fils s'est suicidé. Vincent avait 16 ans.

L'automne avait été frénétique. Vincent, dépressif, avait fait une tentative, en septembre. Son entourage, exemplaire, s'était mobilisé pour le sauver de la corde.

Ce ne fut pas suffisant.

Le 14 décembre, Vincent s'est tué.

Godin me montre une girouette en acier, une de ses oeuvres, tout près de la fenêtre qui donne sur la météo en dépression majeure: «C'était moi, ça. J'avais plus envie de me battre.»

Perdre un fils, c'est comme marcher sur une mine antipersonnel, dit-il. Tout l'entourage devient une victime de l'explosion. Même aujourd'hui, même quatre ans plus tard.

«Il me manque une partie de moi. Je suis amputé de mon fils.»

T'as plus envie de rien, alors tu vas dans le bois, peut-être pour hurler sans être entendu. De toute façon, même si quelqu'un t'entendait hurler, que pourrait-il te dire?

Il n'y a rien à dire. Ton fils est mort.

Au début du tsunami, les images - sa vie -, Éric n'en avait plus envie. Ça ne sortait plus. Plus tard, pas davantage. Coincées au fond d'un puits. «Quand il t'arrive cette claque sur la gueule, tout t'apparaît futile.»

Tu vas dans le bois, donc. Un ami te conseille d'écrire, d'écrire ce que tu ressens. Plus tard, ça va donner Lettre à Vincent, plus tard, tu sauras que l'écriture aura été une étape vers ta réconciliation avec les images.

Le tsunami-Vincent, lui, fait remonter du stock à la surface, des choses enfouies, oubliées, occultées...

«À quoi on sert? Pourquoi on est ici? C'est beau, courir après le fric, les bagnoles, les maisons. Mais à quoi ça sert? T'amasses des biens. Ça finit dans le sous-sol, avec les cochonneries.»

Il ramène des gens dans ta vie, aussi. Ton père. Un homme de peu de mots. Ça n'avait pas empêché une chicane.

À propos de quoi?

Qu'importe...

Quand Vincent est parti, il est revenu. Il n'a jamais su trouver les mots, mais il est là, au restaurant, devant toi, endeuillé comme toi. Il ne parle pas plus, mais en le voyant, ça te frappe: il a toujours été là pour toi.

Tu te promènes dans le bois. Le temps passe... Des amis te disent que le temps va arranger les choses. Ils disent n'importe quoi.

Ton fils est mort, crisse. Rien n'arrange ça.

Rien.

«J'ai ramené les branches, la terre, à l'atelier. Et boum, ça a débloqué.»

Juste au moment où il pensait à larguer l'art, à faire autre chose, n'importe quoi, il s'est mis à sculpter. Avec la terre, avec des branches.

Ce boum est peut-être venu d'un flash: «Mon gars était fier de moi. Il aimait ce que je faisais. Mes deux fils sont mes plus grands fans.»

Il me montre une petite sculpture, un bonhomme monté sur des branches qui lui servent de racines. «L'arbre, c'est organique. C'est vivant, pis ça pourrit, puis ça disparaît. On retourne d'où on vient.»

Godin ne savait pas que les sculptures le ramèneraient vers les images, avec l'aide des mots. Sans oublier Élise, sa blonde; Félix, son fils.

Ce qu'il fait aujourd'hui est différent. Moins de couleur, moins de ludisme. Plus de gris, plus noir. Des images qui évoquent la mort. Son art a changé. Godin a changé.

Il raconte qu'un client possède huit toiles de lui, à Londres. Un fan, un vrai, fou du Godin d'avant le tsunami-Vincent, le Godin-en-couleurs. Il lui a envoyé des photos de ses nouvelles oeuvres.

Pas de réponse...

Eric Godin sourit.

«Là, mes tableaux sont moins... divertissants. Et c'est moins payant!

- Moins divertissants et plus... plus... plus quoi, Éric?

- C'est peut-être plus... moi.»

Dehors, c'est moche, ça tire sur le gris. Dans la galerie, les oeuvres sont sombres, mais va savoir pourquoi, elles sont éblouissantes.

L'exposition des oeuvres d'Éric Godin se déroulera du 4 décembre au 26 janvier à la Galerie ROCCIA