Quelque part à Québec, la ministre Véronique Hivon pilote les dernières retouches du projet de loi Mourir dans la dignité, qui devrait être déposé à la fin du mois. Ce projet de loi est né dans la foulée de l'adoption, à l'unanimité, des conclusions du rapport de la Commission spéciale sur la question, déposé en 2012.

Si le projet de loi de la ministre déléguée aux services sociaux est adopté, le Québec deviendra une des rares juridictions dans le monde à encadrer le droit de ses citoyens à une forme de suicide assisté, en cas de maladie incurable.

Ce n'est pas rien.

Mais ce ne sera pas tout.

Car une fois la loi promulguée, une fois que les Québécois auront «conquis cette ultime liberté», selon les mots d'Hélène Bolduc, présidente de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, les obstacles du réel seront nombreux.

Chaque jour, l'éthicienne et avocate Delphine Roigt conseille des équipes médicales qui font face à des défis médico-éthiques complexes. Elle a récemment présenté au bureau de la ministre Hivon une réflexion sur les obstacles qui attendent, sur le terrain, cette loi d'exception.

J'ai interviewé Me Roigt récemment. Les sept obstacles qui suivent sont le fruit de ces entrevues avec l'éthicienne et de la réflexion qu'elle a présentée à la ministre Hivon.

1. La relation patient-médecin. Qui est «le» médecin d'un patient qui souhaiterait en finir? L'urologue qui a admis un patient n'est pas forcément celui qui le traite, une fois qu'il est hospitalisé. Et souvent, un patient est traité par des médecins résidents. Il faudra éclaircir cette question: qui est «le» médecin traitant?

2. La compréhension des patients devant leur choix. On ne parle même pas, ici, de consentement, mais de simple compréhension des enjeux... dans une société où 49% des Québécois adultes ont des problèmes de lecture.

3. La notion de consentement. Comment va-t-on définir le consentement éclairé d'une patiente qui souhaite en finir? Que fera-t-on si un patient change constamment d'idée? Si on lui administre des opiacées pour calmer sa douleur, est-elle encore en mesure de donner un consentement éclairé? Et si elle était apte au moment de donner le feu vert pour lancer le processus... Mais qu'elle ne l'est plus quand on va faire le geste fatal? Qui déterminera que cette patiente est apte ou pas?

4. Les soins palliatifs. Les patients ont si peur du mot «palliatif» qu'ils ne veulent bien souvent pas s'y frotter. Et beaucoup de soignants spécialisés font appel à l'approche et aux soins palliatifs trop tard dans le continuum des soins. C'est sans compter la dimension bêtement physique du palliatif: les nouveaux CHUM et CUSM compteront moins de lits en soins palliatifs que dans leurs incarnations actuelles. Intégrer les gens et le savoir des «soins pal» est pourtant essentiel.

5. Les soins palliatifs, bis. Être admis tôt aux soins palliatifs est une quasi-garantie de qualité de vie... et de longévité de vie: la chose est désormais admise. Question: un patient qui veut être assisté dans son suicide devra-t-il d'abord passer par les «soins pal», question de voir si sa douleur - physique et psychologique - peut être apaisée?

6.Le «qui». Qui donnera la mort? Question complexe, qui englobe autant la disponibilité des effectifs que l'objection de conscience. Beaucoup de médecins en soins palliatifs sont opposés à toute forme de suicide assisté. Facile pour la Fédération des médecins spécialistes du Québec de dire que ses membres sont en faveur de ce droit: ce ne sont pas les radiologistes qui feront le geste.

7.Le «comment». Cet aspect est «majeur», dixit Me Roigt. Par quel moyen les équipes médicales mettront-elles un terme à la vie d'un patient?

Ce ne sont là que sept obstacles, chacun présentant son lot de difficultés multiples. Il n'est même pas question, note Delphine Roigt, de la complexité qui peut teinter la relation médecin-patient, des objections possibles des proches à la décision éclairée d'un mourant ou des objections de conscience des équipes de soins.

En écoutant Me Roigt me parler des défis bêtement pratiques qui attendent les lendemains d'une loi québécoise sur le droit à mourir, j'ai pensé à une montagne...

Collectivement, les Québécois ont décidé d'aller escalader un pic colossal: ce fut le fruit des consultations de la commission spéciale Mourir dans la dignité.

Mais le plus difficile, ce n'est pas de décider d'escalader une montagne. C'est justement de l'escalader: ces obstacles ne sont que quelques-uns de ceux qui nous séparent du sommet.

«La réflexion doit précéder la modification de la norme, plaide Me Roigt. Si quelqu'un décide d'en finir, il faut que ce soit la meilleure option, et non car c'est faute de mieux.»

VIVE L'ÉCHO - Samedi, j'ai cité l'information suivante: en sept ans, la Ville de Laval a versé 10 millions à la firme de relations publiques National. Ma chronique portait sur la relation entre ce géant des «com» et la mairie de Laval, relation qui n'a pas d'équivalent à Montréal ou à Québec, entre autres.

Même si l'info a largement circulé depuis que la mairie de Laval baigne dans les tracas que l'on sait, ce n'est surtout pas une excuse pour ne pas en citer la source, et j'aurais dû la citer: il s'agit d'un article de Ghislain Plourde publié dans L'écho de Laval, en avril dernier. Bravo, collègue.