Avant de parler du formidable témoignage de Gilles Cloutier, spécialiste des «élections clés en main», au Canal Charbonneau hier, permettez que je commence cette chronique avec une devinette.

Voici quelques phrases: «Les organisateurs seraient appuyés financièrement par des firmes professionnelles, comme des cabinets d'avocats, des firmes d'ingénieurs et de communicateurs. Une fois portés au pouvoir, les élus, ayant des comptes à rendre aux firmes impliquées dans leur campagne électorale, leur accorderaient presque systématiquement de lucratifs contrats municipaux.»

Ces phrases décrivent le deal (illégal) qu'est une élection clés en main. Question: en quelle année ont-elles été écrites?

Réponse à la fin de cette chronique.

***

Gilles Cloutier, donc.

Cloutier, 73 ans, est en quelque sorte le symbole vivant d'une certaine façon d'arranger des élections au Québec. À l'écouter raconter ses «crossettes» - selon les mots de la procureure Sonia LeBel -, on aurait cru écouter la série Duplessis. Et pour cause: il a jadis arrangé des élections pour l'Union nationale!

Ça, ou la suite du reportage que Marie-Maude Denis lui consacrait à Enquête en 1999...

Gilles Cloutier était un serrurier: sa spécialité, c'était les élections clés en main. Ça marchait comme suit: tu veux te faire élire maire de ta municipalité? Gilles t'arrangerait ça. Gilles a des clés.

Il débarquait avec le financement (cash), avec des «bénévoles» (payés), avec des affiches, avec une expertise et des nananes pour faire «sortir le vote». Et avec deux livres de comptabilité (un vrai et un faux, pour le Directeur général des élections).

Évidemment, pour un candidat prêt à se faire rentrer une clé dans un certain orifice, disons comme Marcel Jetté, maire de Sainte-Julienne, c'était un deal avec le diable. Parce qu'après, il fallait renvoyer un ascenseur plein de fric au boss du serrurier Cloutier. Je parle de la firme de génie Roche, puis plus tard, Dessau.

Pour Roche, «arranger» une élection, disons à Sainte-Julienne, ça pouvait coûter 100 000$, gros max. Après - miracle! -, Roche a «gagné» un appel d'offres de 4 M$ pour la réfection d'une route. Méchant retour sur investissement!

Impressionné par Gilles Cloutier, Rosaire Sauriol de Dessau a fini par embaucher le serrurier de Roche. Entre amateurs de crossettes...

***

Dessau, Roche, Sauriol...

Autant de noms prononcés hier par Gilles Cloutier qui se sont retrouvés dans des histoires de crossettes, depuis cinq ans. Que ce soit chez la juge Charbonneau, dans les topos d'Enquête ou dans les pages du Devoir et de La Presse.

Comme Gérald Tremblay et Frank Zampino!

Que le serrurier Cloutier témoigne juste après le passage de l'ancien maire et de son bras droit est tout simplement fantastique. Tremblay et Zampino, qui ont passé des jours à jurer qu'ils n'avaient rien - RIEN, RIEN, RIEN! - à se reprocher, qu'ils ne savaient même rien...

Eh bien, nous apprend Cloutier, Zampino le reçoit dans son bureau de la mairie de Saint-Léonard au printemps 2001. C'est Gérald Tremblay, candidat aux élections montréalaises de novembre, qui arrange la rencontre entre le serrurier de Roche et Zampino, son colistier.

- On aurait besoin de 100 000$ de ta firme, dit Zampino.

- Frank, aurait répondu un Cloutier pas surpris, je m'attendais à une affaire de 25 000$. Je vais devoir faire approuver par Québec.

«Québec», c'est le siège social de Roche. C'est Marc-Yvan Côté, son boss, (autre prolifique habitué des crossettes électorales québécoises). Qui dit oui!

C'était le prix à payer pour «percer» à Montréal si Tremblay devenait maire. D'autres avaient payé leurs 100 000$. Et quand Tremblay est justement devenu maire, c'est à lui que Gilles Cloutier s'est plaint de ce que Roche ne gagnait pas d'appels d'offres: «Donnez-nous de l'ouvrage, on a payé pour ça!»

Peu après, Roche a eu un contrat de la Ville de Montréal. Opération du Saint-Esprit, probablement.

Gilles Cloutier a percé un trou, hier, dans la cape de l'ignorance que portait Gérald Tremblay la semaine passée. J'ai averti «Gérald», nous a dit Cloutier, de ne pas faire confiance à Bernard Trépanier. C'était en 2004!

***

La seule personne mentionnée hier qui n'a pas à rougir?

Guy Ouellette, l'ex-flic de la SQ et député libéral de Chomedey.

Quand il a su que celui que le PLQ lui avait envoyé comme organisateur était soupçonné de crossettes par le Bureau de la concurrence (pour collusion dans le déneigement), il l'a viré séance tenante au milieu de la campagne électorale de 2007. Sans gants blancs.

Guy Ouellette n'est pas diplômé de l'École de Management Gérald Tremblay.

***

Réponse à la devinette: ces phrases ont été écrites par Isabelle Hachey dans La Presse, en 1999.

Donc, si vous pensez que les propos de Gilles Cloutier sur les élections clés en main sont un scoop, détrompez-vous. Ça fait 14 ans au moins que ceux qui devaient savoir savaient.

Qui devait savoir? Les élus, les organisateurs, le DGEQ, la SQ...

Ça fait beaucoup de monde qui n'a jamais su démonter cette crossette grosse comme le nez que j'ai au milieu de la face.