Il y a quelques mois, j'ai reçu un texto de Michel Arsenault, président de la FTQ. Il me félicitait d'avoir pris la défense des syndicats lors d'une chronique à l'émission Montréal Maintenant, animée par Paul Houde.

Je n'en démords pas: dans l'absolu, les travailleurs sont mieux traités quand ils sont syndiqués. Tous les corps de métier ne sont pas «syndicalisables», bien sûr.

Mais dans plusieurs secteurs, un travailleur syndiqué est un travailleur mieux traité.

Je cite de mémoire, mais Michel Arsenault déplorait la mauvaise presse faite aux syndicats et se réjouissait de mon opinion dissidente.

Question pour Michel Arsenault: avez-vous lu la décision de la juge Kim Legault, de la Commission des relations de travail (CRT), à propos des agissements de la FTQ-Construction sur la Côte-Nord?

Vous devriez.

***

C'est l'histoire d'un travailleur qui s'appelle Harold Richard et qui voulait exercer son métier de conducteur de machinerie lourde dans sa région.

Petit pépin: Harold Richard était affilié à la CSN, syndicat rival de la FTQ, dominant dans le domaine de la construction, sur la Côte-Nord et ailleurs.

Résultat? Il a été viré des Entreprises Nordiques à la suite de la pression de Bernard Gauthier, agent d'affaires de la FTQ-Construction, affectueusement surnommé Rambo.

Ai-je dit le mot «pression»? En fait, la FTQ-Construction gérait carrément l'embauche chez tous les entrepreneurs de la région, nous apprend la décision de la juge Legault. Évidemment, les travailleurs de la FTQ étaient privilégiés.

À l'époque (2009 et avant), les syndicats s'occupaient de «placer» leurs membres. Ce qui pose problème, c'est que la FTQ-Construction et les entrepreneurs avaient érigé un «système illégal» de placement, basé sur l'intimidation des entrepreneurs et des travailleurs locaux par la FTQ.

On lit les 129 pages et on se dit que la FTQ-Construction a mis sur pied, grâce aux méthodes brutales de Rambo, un système de collusion qui rappelle la collusion des grands constructeurs et des municipalités dans la région de Montréal dans l'attribution de contrats publics.

Un témoin, qui racontait avoir de la difficulté à se faire embaucher depuis qu'il avait «osé» se trouver un mandat sans passer par les services de placement de Rambo, a fait ce constat (p. 60): «Je fais pas partie de la bonne gang.»

C'est drôle, j'entends l'écho du témoin Lino Zambito, qui racontait à la commission Charbonneau sa difficulté à percer certains marchés municipaux. Et l'écho de Bernard Trépanier, bagman du maire de Montréal, expliquer qu'il ne faisait pas de faveurs à ces entreprises qui avaient appuyé Pierre Bourque...

Un autre témoin, lui aussi travailleur, a relaté une discussion avec un patron de Nordiques, Michel Lessard. Celui-ci, évoquant la mainmise de la FTQ sur le placement de travailleur, lui a dit: «J'ai une famille...»

Le témoin en a déduit que Lessard avait pu recevoir des menaces pour embaucher les «bons» travailleurs, ceux de la FTQ.

On entend ici l'écho de toutes ces personnes qui, dans les médias et chez la juge Charbonneau, ont parlé de menaces reçues quand elles ont tenté de percer un marché fermé, qu'il s'agisse de céramique ou de trottoirs.

Il est vrai que Bernard Gauthier est intimidant, et ça ne tient pas qu'à sa tête d'acteur qui pourrait jouer l'ennemi juré de Bruce Willis dans un énième Die Hard. Il a été enregistré par un témoin de la CRT disant (p. 111) qu'il allait «lui en crisser une dans les dents».

Explication de Rambo à la CRT: bah, je parlais d'une plainte, ou d'une sucette, à lui crisser dans les dents!

Je lis ça et j'entends l'écho des explications de Dessau depuis le passage de son (ex) vice-président Rosaire Sauriol à la commission Charbonneau. Rambo doit être conseillé par les mêmes guignols qui font les relations publiques chez Dessau...

La décision de la CRT - favorable à Harold Richard - décrit un système illégal géré par la FTQ pour protéger ses acquis et exclure la concurrence. Comme pour la collusion dans les contrats d'asphalte ou de trottoirs dans la région de Montréal, le système fonctionne grâce à des menaces plus ou moins voilées.

Il fonctionne aussi parce que tous les protagonistes y trouvent leur compte. À Montréal, des fonctionnaires recevaient des billets du Canadien ou des jambons. Sur la Côte-Nord, les entreprises se sont accommodées d'avoir Rambo comme directeur des ressources humaines parce que cela a fermé le marché aux entreprises de l'extérieur.

***

Il faut lire les 129 pages de la décision de Kim Legault. C'est la seule façon de comprendre à quel point la FTQ-Construction a magouillé pour éliminer la concurrence.

C'est la seule façon de voir les explications de Rambo Gauthier, depuis hier, comme étant une forme pas particulièrement raffinée de bullshit.

Ma note de service pour Michel Arsenault, donc: lisez ces 129 pages. Vous comprendrez que le plus grand ennemi du syndicalisme, bien souvent, ce sont certaines méthodes syndicales.

Méthodes que les avocats de la FTQ-Construction ont défendues avec aplomb à la CRT...

La juge Legault n'a pas été dupe. En réponse à un argument du syndicat (p. 127), elle a eu ces mots qui résument bien son scepticisme général devant les prétentions syndicales dans cette affaire: «Il n'y a rien de plus fou.»