Cet épisode de 19-2 dont tout le monde parle, c'est quasiment un copié-collé de ce 13 septembre 2006. C'est la fusillade de Dawson, du point de vue des premiers policiers entrés dans le collège.

On peut penser que la scène qui marque le début du massacre, dans la série réalisée par Podz, est tirée par les cheveux: le jeune tireur qui sonne à l'école, son gros sac en bandoulière, alors que deux patrouilleurs passent par là par hasard?

Pff, arrangé avec le gars des vues! Pas du tout. Cette scène, c'est l'essence du miracle du collège Dawson.

Ce miracle: quand le fou furieux (on ne va pas gaspiller d'encre à écrire son nom ici) a commencé à tirer, une voiture de patrouille arrivait au collège, par hasard. Pour répondre à un appel de routine non urgent. Les deux jeunes patrouilleurs ont vu le fêlé ouvrir le feu sur des fumeurs, devant une porte de l'immeuble.

Un des agents a immédiatement bondi hors de la voiture de police et pris le tireur en chasse. Grâce à cela, le tireur n'a jamais pu agir impunément dans l'immeuble.

Dans 19-2, le tireur qui prend des otages, qui agit avec une froideur silencieuse, c'est Dawson. Les agents qui le traquent en rageant de ne pas «avoir une shot» pour l'abattre, c'est Dawson. Les agents qui essaient de convaincre le fou de déposer son arme, en lui parlant doucement ou en l'invectivant, c'est Dawson. Les jurons paniqués sur les ondes de police, c'est Dawson. Le tireur qui est finalement prisonnier dans un coin, avec des otages qu'il utilise encore comme boucliers - mais désormais incapable de se déplacer plus avant -, c'est Dawson.

Un an après le drame, j'avais longuement interviewé pour La Presse cinq des agents qui avaient joué des rôles-clés au collège Dawson. L'épisode traduit fidèlement les minutes qui ont ponctué l'échange de coups de feu entre le tireur et les agents, si je me fie au récit haletant qu'ils m'ont fait de ces moments chaotiques.

Dans la fiction de 19-2, à l'extérieur de la polyvalente, un superviseur demande à un sergent quelle est sa stratégie pour la traque du tueur. Réponse: «Stratégie, mon cul!»

Ceux qui symbolisent le mieux cet état d'esprit dans le réel, tout à l'instinct, à l'improvisation et à la réaction, ce sont les agents Denis Côté et Marco Barcarolo.

Côté s'apprêtait à dîner rue Sainte-Catherine, presque sous le pont Jacques-Cartier, quand sa radio a annoncé la fusillade à Dawson. Barcarolo était au poste de quartier 38, devant le parc Lafontaine. Tous deux ont fait la même chose: ils ont filé à tombeau ouvert vers Dawson, situé à des kilomètres de leurs quartiers respectifs. Ils sont entrés dans le collège par des portes différentes. Mais tous deux se sont retrouvés côte à côte sur la mezzanine dominant la cafétéria, où l'ordure en noir tirait en se cachant derrière deux otages, dans un recoin... «Stratégie, mon cul», en effet...

Pas que l'entraînement ne soit pas utile. Après le massacre de Polytechnique, en 1989, la police de Montréal a vécu son propre traumatisme. La consigne, à l'époque, était simple: les premiers agents arrivés sur une telle scène établissent un périmètre et attendent l'arrivée du SWAT. C'est ce qui a permis au fou de Poly de se promener dans l'immeuble en toute impunité. Après Poly, la police de Montréal s'est dit: plus jamais. Désormais, les premiers agents arrivés ont l'ordre d'entrer, d'«inonder» l'immeuble pour que le prédateur devienne proie. C'est ce qui s'est produit à Dawson.

Mais l'entraînement policier, ce n'est pas tout. Il faut aussi improviser, dans un contexte bien réel de vie ou de mort, de sang et de gémissements. Il faut aussi quelque chose d'indéfinissable comme un mélange de courage, de hargne et d'instinct pour décider de poursuivre un tireur fou coûte que coûte. Dans 19-2, ces policiers qui sont incapables d'entrer dans l'immeuble, de devenir des prédateurs, tétanisés par la peur, c'est aussi ce qui s'est passé à Dawson, dans le réel.

Dans 19-2, le policier Chartier de Legault finit par abattre le tueur. On le sent, après, solidement ébranlé, en proie à des tourments et à une culpabilité qui ne font que commencer.

Le flic fictif de Legault, ici, n'est pas le Denis Côté du Service de police de la Ville de Montréal. L'agent Côté a fini par «avoir une shot» et toucher le fou furieux deux fois. Cela a permis aux otages de fuir. Et forcé le salopard à se suicider. Je sais que Denis Côté, bien que secoué, s'est remis sans séquelles de l'épisode Dawson.

Non, le Chartier de 19-2, ébranlé jusqu'à la moelle par le drame, c'est bien davantage le premier agent qui a pris le tueur de Dawson en chasse, ce jeune policier qui arrivait au collège par hasard.

Je sais que ce jeune policier - que je choisis de ne pas nommer parce que l'après-Dawson fut pour lui une très, très rude épreuve personnelle - s'est longtemps senti coupable de ne pas avoir «neutralisé» le tueur avant qu'il ne tue une élève et en blesse plusieurs autres. Lors de l'entrevue, un an après, il s'en voulait encore, cela paraissait dans sa façon de raconter les événements.

Aujourd'hui, j'espère que ce policier sait que la réalité est tout autre. Non, il n'a pas réussi à neutraliser immédiatement le prédateur. Mais il l'a immédiatement transformé en proie traquée. J'espère qu'il a compris que sans sa prise en chasse courageuse du fou, dans les premières secondes du drame, le bilan de Dawson aurait été autrement plus lourd.

L'esprit d'une phrase de Berrof à Chartier, à la fin de cet épisode de 19-2, semble s'adresser à ce véritable policier: «T'en as pas tué un, t'en as sauvé plein...»