Ainsi donc, l'ancien ministre péquiste Guy Chevrette en a assez que la classe politique passe pour une bande de filous dans la foulée de toutes ces histoires nauséabondes que l'on sait, depuis quelques années. Il a lancé un long cri du coeur au chroniqueur Gilbert Lavoie, du Soleil, samedi dernier.

Extraits du papier:

«L'ancien ministre, qui combat un cancer de la prostate depuis novembre dernier, est scandalisé du salissage à l'endroit de la classe politique...»

«Malgré les scandales et les accusations de corruption qui ont cours pendant cette campagne électorale, Guy Chevrette se dit convaincu que la très grande majorité des politiciens sont honnêtes.»

«Il estime que la population et les médias comprennent mal le métier des politiciens pour blâmer un ministre, comme Line Beauchamp, d'avoir participé à un cocktail de financement où se trouvaient des gens dont l'intégrité est par la suite mise en doute...»

En parlant des activités de financement: «Tu pars de Québec après la période de questions pour Montréal ou Trois-Rivières, tu n'es même pas là deux heures, tu serres des mains et tu les remercies de participer à l'exercice démocratique...»

«Des gens qui travaillent 70 à 80 heures par semaine, ce ne sont pas des pourris, ce n'est pas vrai. Est-ce qu'il y a des flagosses, parfois? Peut-être, mais je me refuse à croire qu'il s'agit de systèmes structurés et organisés. Je ne crois pas ça. Je crois bien plus que les gouvernements sont victimes d'arnaques qu'ils n'ont pas vues venir.»

J'ai lu tout ça et j'ai pensé à cette boutade de Gilles Guilbeault, le légendaire, fictif et bourru DG du National de Québec, dans Lance et compte: «Arrête, arrête, j'vas pleurer!»

Quand Domenico Arcuri a participé à un petit-déjeuner en 2009 (coût d'entrée: 1000 $) avec la ministre de l'Environnement, je conviens que Mme Beauchamp ne pouvait pas savoir qu'il s'agissait là d'un cadre de la mafia montréalaise. N'empêche, l'épisode reste troublant et l'étonnement collectif, un signe de santé.

Ce qui est également troublant, peut-être même plus, c'est qu'Énergie Carboneutre, l'entreprise légitime du mafieux, cherchait à obtenir un avantage du ministère de l'Environnement. Or, un an après ce petit-déjeuner, Énergie Carboneutre a finalement obtenu une bonification de son certificat d'autorisation, ce qui lui a permis d'«ouvrir un nouveau marché», comme l'écrivait dans La Presse l'auteur du scoop de mai dernier, André Noël.

Mafia ou pas, c'est exactement le même lien - don au PLQ = avantage de l'État - qui a fini par miner la confiance des Québécois dans le gouvernement Charest ces dernières années. Des permis de garderie distribués par Tony Tomassi à la subvention de 14 millions autorisée par Nathalie Normandeau malgré l'avis de ses fonctionnaires pour une usine de filtration à Boisbriand, on ne compte plus le nombre de dossiers où un don au PLQ s'est transformé en décision gouvernementale favorable.

Quand Guy Chevrette, ancien responsable du financement au PQ, refuse de croire à des «systèmes structurés et organisés», il évoque sûrement un système grossier de financement politique illégal. Du genre où un ministre prend le téléphone et appelle des donateurs: «Ça va prendre 20 000 piasses, cash, dans une valise, vendredi...»

En effet, il n'y a pas de preuve de ce genre de corruption.

Mais la corruption est ailleurs. Elle est morale, elle est dans la participation du politique à cette charade du financement «sectoriel», où des pans entiers d'industries (firmes comptables, de génie, de construction, etc.) ont dans le passé dansé de langoureux tangos avec les partis politiques.

Si le chroniqueur Lavoie ne s'était pas contenté de boire les paroles de Guy Chevrette, il aurait pu, par exemple, lui demander son avis d'expert sur le cas d'Axor, ce fleuron du génie québécois qui a plaidé coupable d'avoir utilisé des prête-noms pour faire des dons au PLQ, à l'ADQ et au PQ. Un bel «exercice démocratique», éventé par Québec solidaire en 2010, sur lequel Axor n'a jamais jugé bon de s'expliquer.

Pourquoi Axor a-t-elle violé la loi pour donner aux partis?

On parle ici d'Axor, mais on pourrait parler d'autres grandes firmes du génie, de la comptabilité ou de la construction, dont les dirigeants (et leurs secrétaires, et leurs femmes...) donnent le maximum prévu par la loi aux partis.

Voici des gens d'affaires redoutables. Qui baignent chaque jour dans les analyses de coûts-bénéfices. Qui ont l'oeil sur le profit. Mais ils donneraient des dizaines de milliers de dollars aux partis, sans rien attendre en retour, surtout pas de contrats publics, pour le simple privilège de «participer à l'exercice démocratique» ? Étonnant!

C'est la charade du financement politique - un système qui a sali les libéraux davantage que les péquistes, mais que le PQ n'a jamais répudié en son temps - qui est corrompue.

Et l'émouvant cri du coeur de Guy Chevrette peut difficilement passer cette réalité à l'eau de Javel.