Je me sentais con, mais con! J'ai dû demander à la nouvelle députée néo-démocrate de Saint-Lambert de m'épeler son nom. Et ce n'est pas parce qu'il est exotique. Je ne l'avais pas vu assez souvent pour qu'il s'imprime dans mon cortex, ces dernières semaines.

Elle m'a soufflé les lettres à l'oreille, par-dessus les cris de joie des militants du NPD massés au Rialto, la superbe salle de spectacles de l'avenue du Parc, dans la circonscription de Thomas Mulcair qui, jusqu'à hier soir, était le seul député néo-démocrate québécois. À cause de ces cris, j'ai dû demander à la dame de répéter...

«G-R-O-G-U-H-É...»

Voilà. Sadia Groguhé a battu la députée sortante, Josée Beaudin, du Bloc.

Il y a d'autres noms à apprendre: Ève Peclet, Tyrone Benskin, Marjolaine Boutin-Sweet, Claude Patry, Dany Morin, Guy Caron (salut Guy!)...

Plus tôt, avant que les résultats ne se mettent à sortir, Alexandre Boulerice, candidat pour la seconde fois dans Rosemont-La Petite-Patrie, portait sa chemise orange, dans le Rialto pas encore plein. «J'ai hâte de savoir quel sera mon job, demain», disait ce jeune homme barbu, qui a pris des vacances de son job aux communications du Syndicat canadien de la fonction publique pour faire campagne.

Boulerice a gagné, il a terrassé un géant local, Bernard Bigras, du Bloc, indélogeable depuis des années, qui avait gagné avec 50% des voix, en 2008 (Boulerice avait récolté 16%)...

Parlant de géant fauché, aucun n'est plus grand que Gilles Duceppe. Le numéro 2 du mouvement souverainiste a perdu contre une dame qui vient d'entrer dans le Rialto au moment où j'écris ces lignes.

Son nom, déjà? Attendez que je saute sur Google...

Ah, oui, c'est ça: Hélène Laverdière!

Je me souviens de son col roulé, sur ses affiches. Gilles Duceppe a été terrassé par une agente orange inconnue, portant un col roulé rouge.

Ayoye.

Ce tsunami orange était irrésistible. Ruth Ellen Brosseau, dans Berthier-Maskinongé, a) a été invisible sur le terrain b) baragouine le français c) habite l'Outaouais d) est allée en vacances une semaine à Las Vegas pendant la campagne, mais malgré a) b) c) et d) : elle a gagné par une majorité confortable.



Il y a des poteaux que même des marées ne peuvent déboulonner...

Thomas Mulcair, unique député du NPD au Québec depuis 2007, est arrivé en rock star, dans le Rialto au bord de l'overdose de bonheur, sur les notes de circonstance de Month of May, d'Arcade Fire, le petit groupe mondialement connu, qui vit dans le coin...

«Quelle aventure! Travaillons ensemble: avec ces deux mots, notre chef, Jack Layton, a donné le ton à notre campagne, a commencé par lancer M.Mulcair. Le NPD a entendu votre profond désir de faire les choses autrement à Ottawa...»

Quand j'ai lunché avec Thomas Mulcair, 11 heures avant son discours triomphal au Rialto, il m'avait juré espérer former le gouvernement. «Je ne vise jamais la deuxième place», avait-il lancé.

Mais cette seconde place, cette opposition officielle qui devrait décevoir tout parti politique, est une victoire hallucinante pour le NPD, habitué à patiner élégamment dans son coin de la patinoire pendant que d'autres partis - le PC et le PLC au Canada, le Bloc au Québec - comptaient des buts et gagnaient des matchs...

Combien espérez-vous de sièges? M.Mulcair, ce soir... «Au moins une douzaine...»

Le NPD en aura une soixantaine.

Nous avons quatre ans pour apprendre leurs noms.

Même la région de Québec a bouté ses députés conservateurs, passant à gauche. Résonnent à mes oreilles ces mots de Thomas Mulcair, au-dessus de son shish taouk, hier midi. «Il n'y a jamais eu, a-t-il dit, de montée de la droite, au Québec.»